Comment repousser
ses limites en voyage

04.12.17

Adolescente, mes amis m’ont affectueusement surnommée la grand-mère de la gang. J’aimais passer du temps seule, je buvais beaucoup trop de thé, j’adorais faire la sieste et, à peine âgée de seize ans, je faisais déjà de l’arthrite (vieillesse prématurée, tu dis?). Contrairement aux autres ados de Vancouver, je ne faisais pas la fête et dépassais rarement mes limites. Malgré les avantages de vivre dans une petite ville sur une île paradisiaque (allô la mer à cinq minutes de marche) et le fait que j’aimais bien ma petite vie de mamie, je me sentais un peu claustrophobe.

J’avais envie de sortir de ma zone de confort et de surprendre tout le monde qui pensait me connaître en faisant quelque chose d’inattendu comme partir seule. Voyager a ce pouvoir de nous faire sentir indestructible ou juste assez courageux pour surmonter nos peurs.

C’est avec cette idée-là en tête que j’ai planifié un échange étudiant de cinq mois à Hatfield, en Angleterre. J’avais dix-neuf ans. J’imaginais tous les gens que j’allais rencontrer, les endroits que j’allais visiter et toutes les prouesses que j’allais rayer de ma liste de choses à faire.

Une de ces choses-là, c’était de me faire tatouer. Tu dois comprendre que, pour moi, c’était le summum de la rébellion. J’allais donc entreprendre le trip le plus délinquant de toute ma vie. Au Canada, j’avais toujours eu l’impression que c’était un peu trop intense pour moi… mais en voyage? J’allais sûrement être game.

J’allais entreprendre le trip le plus délinquant de toute ma vie. 

J’ai toujours voulu être un peu badass. Quand je me suis envolée pour mon premier long voyage solo en Angleterre, j’ai pris conscience d’une chose : là-bas, personne ne me connaissait. Je partais de zéro. Libre à moi d’être qui je voulais. Et quand on veut, on peut, non? Je pouvais donc devenir la fille cool, relaxe, nonchalante… bref, je pouvais devenir n’importe qui!

Mon rêve a pris fin quand j’ai eu une autre révélation : bluffer, c’est pas évident. Ma personnalité secrète a fait surface le jour où j’ai dévoilé mon talent pour la danse. Et éventuellement, un de mes meilleurs amis en Angleterre m’a dit : « J'ai su que t’étais maladroite dès que t’as dit que t’étais Canadienne ». (Un stéréotype que je ne connaissais pas!) 

Mais oublions ma nationalité et mon rythme légendaire deux secondes… La réalité, c’est que prétendre être quelqu'un d'autre quand tu te tiens avec du monde que t’aimes vraiment, c’est impossible. Je me suis rapidement greffée à un groupe éclectique de Britanniques, de Québécois et d’Américains. On aimait tous le cidre anglais, Nando’s et, plus particulièrement, voyager pour pas cher. On a affectueusement rebaptisé notre ville « Platefield » en raison du peu d’options de divertissement offertes. On en sortait aussi souvent que possible. À la fin de la session, on avait mis les pieds dans six pays différents.

Même si ma stratégie de fille cool a rapidement foutu le camp, mes nouveaux amis m’ont inspiré et poussé à vivre les aventures dont j’avais rêvé des mois auparavant. Et l’idée de me faire tatouer faisait toujours partie de ma liste.

Deux mois après le début de ma session à l’étranger, ma sœur devait venir me rejoindre à Londres. Des amis nous hébergeraient dans l’East End. Je lui ai donc parlé de mon intention de me faire tatouer et de son devoir de m’accompagner. Mon plan machiavélique ne l’a pas tout à fait impressionné, mais elle a fini par se laisser convaincre. On riait nerveusement en cherchant où mettre mon plan à exécution (aidées des amis très tatoués de ma sœur).

On a finalement choisi le salon Shall Adore situé dans l’East End de Londres. Dans ma tête, ça sonnait comme un vieil Anglais qui annonce le nom d’un château : « Voici le SHALADORE. »

J’avais presque l’impression de faire quelque chose d’illégal.

Même si mon tatou — « Have Heart » (Aie du cœur) en caractères dactylographiés — n’avait rien d’intimidant, je sentais le rush d’adrénaline. J’avais presque l’impression de faire quelque chose d’illégal.

En fin de compte, mon choix de tatou était pas mal plus rock’n’roll que je pensais. Quand j’ai dit au gars ce que je voulais, il a appelé un autre tatoueur qui m’a demandé « Have Heart comme le groupe de métal? » Même si mon choix n’avait absolument rien à voir avec ce groupe-là (le tatoueur m’a juré que ce n’était pas un groupe néonazi ou quelque chose du genre), je me sentais de plus en plus cool.

L’artiste qui m’a tatoué, Igor de Lettonie, s’est présenté avec un accent que j’espère encore arriver à imiter un jour.

Il a placé le dessin dans mon dos et comme je n’arrivais pas à bien voir, j’ai demandé à ma sœur de vérifier que tout était beau. Igor a renchéri : « T’es mieux de vérifier. Mon anglais n’est pas excellent ». Si ça, ça ne te donne pas confiance, je ne sais pas ce qui t’en donnera! Ma sœur m’a confirmé que les mots étaient bien écrits (se basant elle-même sur ses notions de grammaire assez bof). Je ne pouvais plus reculer.

Igor m’a finalement tatoué et tout s’est bien passé. Ahhh! On rit encore de ma rébellion passagère aujourd'hui.

Voyager ne te rendra peut-être pas moins maladroit, mais ça te pousse définitivement à essayer des choses que tu ne ferais pas à la maison. Et c'est ce qui rend les voyages si attrayants, non? On dit que ça nous change et ce n’est pas faux. Ce n’est pas seulement la splendeur des endroits qu’on visite qui importe, mais aussi l’état d’esprit avec lequel on les quitte. J’aurais pu me faire tatouer au Canada, mais je ne l’ai pas fait. J’avais besoin de voyager pour repousser mes limites et me donner le courage de sortir de ma zone de confort.

Non, ce n’est pas la fille badass que je rêvais d’être qui est revenue d’Angleterre. Cela dit, depuis le retour à ma vie tranquille sur la côte ouest, mon tatou me rappelle constamment les risques que j’ai pris en voyageant et que mon amour pour l’aventure est tout aussi fort que pour le thé et la sieste.

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