Voyageuse queer et féminine: un récit honnête de l'impact de mon identité en voyage

21.05.24

Après un trajet en bus de dix-huit heures, je suis enfin installée sur un tabouret au bar d'une auberge à Medellin, en Colombie. Il fait humide et je ne me suis pas encore douchée. Des gouttes de sueur coulent le long de ma tempe et se rassemblent autour de ma clavicule. Un groupe de personnes s'assoit à côté de moi. Je souris poliment, pas tout à fait prête à faire la conversation, mais je me présente quand même. Ils sont sympathiques. Je commence à me détendre et à baisser ma garde. On s'entend bien, partageant des conseils de voyage et des idées d'itinéraires. Un Britannique nous commande une autre tournée. Une Française en robe d'été fleurie, pas très différente de la mienne, hausse les sourcils et se penche plus près. "So, you have a boyfriend?" demande-t-elle.

Je m'arrête, la bouteille tiède de bière pas chère à mi-chemin de ma bouche. Je déteste cette question. Est-ce que ma réponse va changer ce qui semblait être une bonne soirée?

Je suis lesbienne. Ça revient généralement dans les premières conversations que j'ai dans les auberges. Je suis souvent la seule personne queer dans un groupe de voyageurs-euses. Pour des raisons de sécurité, je préfère voyager avec d'autres femmes que je rencontre dans les auberges. Cependant, chaque fois que je le fais, je m'inquiète qu'elles pensent que je suis une prédatrice ou que je les drague. Après avoir révélé ma sexualité, j'ai vu des expressions faciales changer brusquement. J'ai été confrontée à des silences inconfortables et à des tentatives de changer de sujet. J'ai été exclue d'événements juste après m'être dévoilée. Ça transforme le voyage en une expérience isolante.

Je suis aussi une femme qui aime se présenter comme féminine. Cela peut jouer en ma faveur. Je peux passer pour une hétéro dans la plupart des situations — un privilège que nombre de mes ami.e.s ou partenaires n'ont pas en raison de leur apparence. C'est un privilège auquel j'ai dû faire face à de nombreuses reprises, de manière inattendue, en voyage.

Quand je voyage, je dois choisir quand, où et à qui je fais mon coming out, bien plus que lorsque je suis chez moi.

Par exemple, j'ai passé un moment à Mujeres Creando, un collectif anarcho-féministe bolivien basé à La Paz. J'étais plus jeune, plus naïve, et je voulais interviewer l'une des fondatrices, l'une des seules militantes lesbiennes ouvertement déclarées en Bolivie. Elle m'a bien fixée, a ricané et a dit: « Pourquoi devrais-je te faire confiance? Comment savoir si tu es vraiment celle que tu dis être? Tu ne peux pas simplement débarquer et me poser des questions sur ce que c'est d'être gay dans mon pays. Tu ne comprendras jamais. » Et elle avait raison. Mon privilège me protège.

Mais les identités sont nuancées. Mon identité est nuancée. Surtout quand je suis quelqu'un qui se transporte régulièrement dans des mondes éloignés, chacun avec un nouvel ensemble de valeurs, de politiques, de préjugés, d'étiquettes et de normes sociales. C'est complexe.

À moins que je ne marche dans la rue en tenant la main d'une autre femme, la plupart des harcèlements que je subis sont dus à la misogynie, et non à l'homophobie. Si quelqu'un découvre que je suis gay, je me retrouve à l'intersection des deux préjugés. Les hommes insistent pour dire qu'ils peuvent me "changer", que je suis trop jolie pour être lesbienne, ou que je n'ai tout simplement pas encore trouvé le bon homme (parfois, je leur dis qu'ils n'ont probablement pas encore trouvé le bon homme non plus). Ils me touchent parfois sans mon consentement pour tenter de prouver que si je leur donnais juste une chance, je réaliserais que je ne suis pas lesbienne après tout.

Quand je voyage, je dois choisir quand, où et à qui je fais mon coming out, bien plus que lorsque je suis chez moi. C'est quelque chose que beaucoup de femmes reconnaîtront. Faire son coming out n'est pas un acte unique, surtout si tu as tendance à voyager où tu rencontres constamment de nouvelles personnes. On évalue chaque situation en fonction du contexte et de notre instinct pour déterminer si notre sécurité sera menacée ou non.

Mon radar peut être défaillant. En dansant dans un club à Cochabamba, en Bolivie, au début de la vingtaine, un homme n'arrêtait pas de flirter avec moi. Finalement, j'ai craqué et je lui ai dit que j'étais lesbienne. "Non, tu ne l'es pas," a-t-il dit avec un sourire narquois. J'ai insisté, confiante d'être en sécurité parce que mes ami.e.s (hétérosexuel.le.s) étaient avec moi. "Si, je le suis. J'ai une copine et je ne suis pas intéressée par une conversation avec toi," ai-je dit. Cela n'a fait qu'attiser son intérêt. Quand j'ai insisté pour quitter le club, mes "ami.e.s" se sont agacé.e.s et ont roulé des yeux. J'ai attendu un taxi dehors, seule. L'homme m'a suivie, me suppliant pour un plan à trois.

Je suis constamment fétichisée, même par d'autres voyageurs qui disent qu'ils sont "cool" avec ça. Quand certains hommes découvrent que je suis gay, ils prennent ça comme une ouverture pour me poser plusieurs questions personnelles et sexuelles ou ils commencent à me traiter comme "un des gars." Ce qui suit est généralement une tentative de m'entraîner à objectiver les femmes avec eux. "Toi et moi voyons les femmes très différemment," ai-je dit à un gars au Pérou quand il m'a demandé quel pays avait les femmes avec les plus belles fesses. "Je ne participe pas à la déshumanisation de mon genre," ai-je informé un Tchèque quand il a voulu que je note les autres femmes de notre groupe sur une échelle de un à dix.

Nous avons toutes remarqué que même porter quelque chose de petit avec un arc-en-ciel était suffisant pour que certaines personnes deviennent ouvertement hostiles dans certains pays.

Quand je rencontre une autre lesbienne dans une auberge, je suis excitée de pouvoir partager nos expériences communes. À Quito, en Équateur, j'ai rencontré une Italienne et sa partenaire française, et nous avons eu une longue discussion à cœur ouvert sur ce que c'était de voyager en tant que personne queer. Nous avons toutes remarqué que même porter quelque chose de petit avec un arc-en-ciel était suffisant pour que certaines personnes deviennent ouvertement hostiles dans certains pays. C'est épuisant de cacher une si grande partie de qui tu es tout le temps. C'est épuisant de changer les pronoms de genre dans tes histoires pour paraître hétéro. Je mens souvent en disant que j'ai un copain ou un mari. Chaque fois que je le fais, une petite partie de moi s'effondre. Cacher un aspect aussi fondamental de moi-même a toujours un prix.

Quand je voyage avec une partenaire, les choses peuvent devenir compliquées. Nous devons souvent prétendre que nous sommes juste amies, en prenant soin de ne pas montrer trop d'affection. Les gens regardent, jugent et commentent parfois, et les mêmes questions tournent en boucle dans mon esprit : "Cette personne qui ralentit sa voiture va-t-elle sortir et nous faire du mal? Cette personne va-t-elle me traiter de tous les noms? Dois-je être prête à défendre ma partenaire ou mes ami.e.s?" Je suis constamment sur mes gardes.

On m'a dit d'arrêter de tenir la main de ma partenaire parce qu'un restaurant/clinique médicale/trottoir est un "environnement familial." J'ai échangé des regards paniqués avec une partenaire en faisant de l'auto-stop lorsqu'elle m'a appelée par un surnom affectif et que le conducteur l'a remarqué. Quand nous réservons un hébergement, nous nous posons toujours la question de réserver un lit ou deux. Parfois, cela ne vaut pas la peine de s'expliquer pour dire que nous voulons partager un seul lit, alors nous acceptons et payons quelques dollars de plus. C'est marginalisant.

Parfois, faire son coming out déclenche les conversations les plus absurdes et les plus ridicules. J'ai rencontré un groupe d'Australiens bruyants sur un bateau de croisière de deux jours au Laos. On parlait de dating après que l'un d'eux soit tombé amoureux au premier regard d'une femme laotienne. Ils m'ont demandé si j'avais vu des gars mignons. Après leur avoir dit que j'étais gay, ils ont secoué la tête. "Pourquoi t'essayerais de dater dans un pays comme celui-ci?" Ils riaient entre deux gorgées de bière. "Et vous alors?" ai-je répliqué. "Je devrais pouvoir au moins essayer de dater où que je sois!" Ils ont ri. "Touché, mate!" a dit l'un d'eux avant de me faire la liste de toutes les femmes homosexuelles qu'il connaissait chez lui. Apparemment, il y a une jolie pompière à Melbourne que je dois rencontrer.

Parfois, c'est réconfortant. J'ai pu tenir la main d'un nouvel ami à son tout premier défilé de la fierté dans son pays conservateur alors qu'il n'avait pas encore fait son coming out auprès de ses parents et qu'il en était terrifié. C'était une fierté très spéciale, car le mariage gay venait d'être légalisé dans ce pays quelques jours auparavant. En Inde, j'ai eu l'occasion d'apprendre à connaître les hijra (personnes de troisième genre, souvent trans, qui occupent une place importante dans la culture hindoue). En Malaisie, j'ai trouvé une librairie queer discrète cachée dans un immeuble de bureaux et j'ai eu une conversation enthousiaste avec le caissier. Je cherche toujours des espaces queer. Je me suis liée d'amitié avec le barman d'une auberge à Saint-Domingue, en République Dominicaine, qui était ravi de rencontrer une autre personne gay et m'a emmenée dans une série de bars gay underground de la ville. Au Mexique, j'ai trouvé un bar gay dans le Yucatán et j'ai fait un clin d'œil à la fille de l'entrée. Elle m'a répondu par un clin d'œil. Ce petit moment de reconnaissance, de similitude et de connexion, est l'une des parties les plus gratifiantes et intimes du voyage en tant que personne queer. Je suis encore en contact avec quelques-unes de ces personnes aujourd'hui.

Quand je choisis de parler de cette dimension de mon identité, je prends l'espace dont j'ai besoin. Dont nous avons besoin. Les gens font des blagues homophobes et transphobes autour de moi tout le temps avant de savoir que je suis lesbienne. C'est incroyable ce que les gens disent quand ils pensent qu'ils n'ont pas besoin d'être politiquement corrects. En tant que femme blanche, jeune, de classe moyenne et attirante selon les normes conventionnelles, je suis en position de défendre mes camarades queer et de défier les gens sur leurs préjugés ou leur rhétorique nuisible. Je peux mettre un visage sur l'homosexualité qui remet en question les points de vue.

C'est incroyable ce que les gens disent quand ils pensent qu'ils n'ont pas besoin d'être politiquement corrects.

Beaucoup de gens ne sont pas out dans les pays où je voyage. En tant que voyageuse, les applications de rencontre sont des solutions pour avoir une idée de la scène gay locale et savoir où aller (souvent, les espaces queer gardent un profil bas pour rester discrets). Ces applications sont un bon point d'entrée pour se faire des ami.e.s et se connecter avec une sous-culture qui fait de son mieux pour rester à peine visible dans certaines parties du monde.

J'ai rencontré une femme sur Tinder qui avait travaillé dans tous les bars gay de la ville. Elle m'a présenté ses ami.e.s, et j'ai été instantanément connectée à un côté de la culture queer que je ne savais même pas exister dans cette ville. C'est un tel soulagement de se lier d'amitié ou de sortir avec d'autres personnes queer que tu n'aurais peut-être pas remarquées dans ton propre pays. Mon instructrice de plongée à Bornéo m'a raconté ce que c'était d'être la seule instructrice lesbienne sur l'île. Ma date en Équateur m'a raconté ce que c'était d'être la seule clown gay (vraiment) dans l'association officielle des clowns (oui, je suis totalement sérieuse). Les personnes avec qui je suis sortie m'ont donné un excellent aperçu de ce que c'est de grandir et de faire son coming out en tant que lesbienne dans des pays conservateurs. J'ai appris sur la culture queer dans le monde entier, et je n'aurais pas eu ce plaisir si je n'avais pas été queer moi-même. Quand on se trouve, c'est comme rentrer à la maison. C'est une camaraderie instantanée.

Voyager m'a rendue plus confiante dans ma sexualité que jamais auparavant parce qu'à l'étranger, je dois constamment y penser. Chez moi, c'est juste un autre fait à propos de moi, comme avoir les cheveux roux ou aimer le barbecue texan. Je suis out depuis longtemps. Je suis fière de qui je suis et extraordinairement chanceuse d'avoir une famille qui me soutient; l'homophobie existe partout, y compris là d'où je viens. Cependant, à cause des voyages, je réfléchis plus profondément maintenant aux choses que nous devons faire pour rester en sécurité en tant que personnes queer, au concept des familles choisies, au fait que le nombre de bars lesbiens diminue dans le monde entier. Je pense à l'espace que nous devons tailler, parfois avec un couteau émoussé, pour exister dans un monde encore largement hostile aux personnes comme nous.

Je pense à l'espace que nous devons tailler, parfois avec un couteau émoussé, pour exister dans un monde encore largement hostile aux personnes comme nous.

Le monde a fait de grands progrès pour les droits des personnes LGBTQ+. La tolérance, cependant, est différente de l'acceptation. Des droits sont annulés dans de nombreux endroits autrefois considérés comme progressistes. La discrimination se produit partout, mais certains pays peuvent avoir des restrictions légales ou des problèmes auxquels tu n'aurais peut-être pas pensé. Après avoir parlé avec de nombreuses autres voyageuses lesbiennes, la grande majorité m'a confirmé que le traitement des personnes gays est la raison numéro un pour laquelle elles visiteraient ou non un pays.

Pour mes ami.e.s voyageurs et voyageuses gay et trans, je recommande de rejoindre de nombreux groupes sur les réseaux sociaux pour poser des questions avant de partir quelque part. Sur le terrain, la réalité de ce que c'est d'être gay peut être différente de ce que tu lis sur les index d'égalité (bien que ce soit toujours un bon point de départ). Renseigne-toi sur comment les démonstrations publiques d'affection sont perçues et sur les expériences personnelles d'autrui sur les crimes haineux à l'étranger. Cherche des récits de source directe sur ce que c'est d'être queer dans ces pays. Auras-tu besoin d'un VPN au cas où ce pays a bloqué les sites ou applications gays? Y a-t-il une censure imposée par l'État? À quel point devras-tu être discrèt.e?

Quand j'ai mentionné à ma famille et à mes ami.e.s que j'écrivais cet essai, j'ai été accueillie par plus de sourcils arqués que je ne l'avais prévu. "Pourquoi voyager en tant que lesbienne serait-il différent de voyager en tant que femme?" ai-je entendu. "Pourquoi ce devrait-être deux sujets distincts?"

Il y a des obstacles uniques à surmonter en voyageant en tant que femme lesbienne. Je n'ai jamais lu un essai où je me sentais vue à cet égard. La visibilité, c'est énorme. C'est pourquoi j'écris ceci. Si je peux aider n'importe laquelle de mes camarades lesbiennes à se sentir vue, ne serait-ce qu'un instant, chaque expérience que j'ai vécue en aura valu la peine.

Et si des jolies pompières de Melbourne veulent se glisser dans mes DM sur Instagram, ce serait génial.

Cet article fait partie du
Numéro 5

Récits de voyage