L'importance de se faire des amies en voyage

12.07.22

Quelque part au large de Carthagène, en Colombie, se trouve un groupe d'îles appelé les îles Rosario. Une visite ici est un vrai bonheur. Les plages sont d'irrésistibles bandes de sable blanc. Les températures sont torrides - le genre de chaleur étouffante dont mon âme canadienne a besoin. L'eau est claire, salée, et abrite des bateaux de pêche colorés qui montent et descendent paresseusement avec la marée. Je suis ici en 2018, alors que je fais le tour de cette partie de la côte colombienne. Je fais du kayak à travers les mangroves durant une journée qui fait évaporer la sueur dès qu'elle quitte mes pores. Je suis avec mon amie de voyage improvisée Audree : une Luxembourgeoise que j'ai rencontrée plus tôt dans mon voyage dans une auberge à l'extérieur de Santa Marta.

Nous pagayons hors des mangroves noueuses et atteignons la mer ouverte. Audree m'explique le plan de ce soir : nous allons nous procurer quelques bières et peut-être un cocktail. Elle veut voir si le Colombien aux yeux verts qui travaille dans l'auberge à côté de la nôtre veut passer du temps avec nous. Ensuite, nous nous promènerons en ville pour voir si nous pouvons trouver une fête. Ça a l'air trippant et je suis d'accord! Par contre, nous sommes dans cette ville endormie depuis quelques jours et je sais déjà que nos chances de trouver une fête sont minces, voire nulles.

Mon intention initiale pour ce voyage le long de la côte de la Colombie était de passer beaucoup de temps seul pour lire, étudier l'espagnol, courir le long de la plage et terminer quelques projets. Tu sais, des trucs de voyage en solo. Je suis arrivée avec un petit groupe d'amis de Medellin (où je vivais à l'époque) pour passer du temps à Santa Marta et au parc national Tayrona. Lorsqu'ils sont partis, j'ai passé 20 minutes entièrement seule avant qu'une femme d'Espagne (dont le nom m'échappe maintenant) ne vienne dans ma direction, se présente, et tire une chaise de plage à côté de moi.

Rosario Islands

Nous nous sommes promenés sur la plage et avons rencontré Audree. Elle avait déjà voyagé pendant des mois en Amérique du Sud et collectionnait les tatouages comme souvenirs. Si ma mémoire est bonne, elle avait un flamant rose, une montagne, un palmier et une femme en jupe, tous encrés sur sa peau. Elle était passée par le Chili, le Pérou, la Bolivie, et était maintenant en Colombie avant de se rendre au Panama. Elle parlait allemand, anglais, français, luxembourgeois et espagnol. J'ai été immédiatement étonnée - bien qu'un peu intimidée - par ses compétences linguistiques, son indépendance et son expérience du voyage.

Nous nous sommes posées sur le sable tous ensemble pour regarder le coucher de soleil. Alors que le soleil s'enfonçait sous l'horizon, ces deux femmes m'ont tout raconté sur l'Europe. J'ai entendu parler de ce que c'était que de skier dans les Alpes et quand j'imaginais l'Espagne, je pouvais presque goûter la paella. Je leur ai parlé des nuits passées à manger du pop-corn sur les places de Medellin.

Et c'est ce qui caractérise les amies de voyage que l'on rencontre en cours de route : il y a un sentiment de fraternité que nous partageons sans poser de questions.

Comme c'est souvent le cas dans mes voyages de backpacking, nos itinéraires s'alignaient quelque peu. Audree et moi devions nous rendre dans une petite ville appelée Taganga avant de nous rendre à Cartagena, puis aux îles Rosario. Voyager ensemble était une évidence : nous aurions la compagnie de l'autre, aucun de nous n'aurait à prendre le bus de nuit seule, Audree connaissait bien la langue et la logistique du voyage à dos en Amérique du Sud, et j'avais fait des recherches sur Cartagena et les meilleures auberges des îles. Notre nouvel ami espagnol nous rejoindrait là-bas.

Dans la semaine qui a suivi, nous sommes devenues de grandes amies de voyage. Nous nous sommes prélassées sur une plage brûlée par le soleil tandis qu'Audree me parlait de son projet d'ouvrir un restaurant en Autriche. Je lui ai dit que j'étais en train d'écrire un récit de voyage sur Medellin et je lui ai parlé du travail en freelance qui m'a inspiré mon séjour en Amérique du Sud.

Elle surveillait ma peau pâle à la recherche de coups de soleil et se manifestait lorsque mon estomac faisait une mauvaise réaction à des fruits de mer. J'ai entendu parler de sa dernière rupture. J'ai observé ses sacs pendant qu'elle se faisait tatouer le symbole qui représenterait ses voyages en Colombie. Quand j'ai accidentellement glissé du français canadien dans mes commandes en espagnol au restaurant, elle a rit (avec moi bien sûr). J'ai gardé un visage impassible lorsqu'elle a raconté à un bel homme néerlandais qu'elle était une connaisseuse en vin et qu'elle s'était fait avoir en dépensant beaucoup trop d'argent pour une bouteille de rouge.

Assises sur la terrasse d'une auberge de jeunesse, nous avons chassé les moustiques l'une de l'autre tandis qu'elle me racontait la fois où elle avait conquis le gars le plus sexy alors qu'elle avait coupé tous ses cheveux. "Quand tu es belle, ça n'a pas d'importance que tu aies des cheveux ou non!" Elle a dit. "Je crois que je viens d'entendre de la musique venant de la ville! On devrait aller trouver où est la fête!" (Ce n'était pas de la musique, c'était le klaxon du bateau. Malgré ses meilleures intentions, nous n'avons jamais trouvé de fête sur les îles de Rosario).

Sunset on the beach

Au large de Cartagena, nous avons fait une erreur de débutantes et avons négligé d'apporter une quantité suffisante d'argent liquide sur les îles. (Toujours, toujours voyager dans des endroits éloignés avec de l'argent en réserve !) Nous nous sommes dit: "Tant pis!". En mettant notre argent en commun, il ne devrait pas y avoir de soucis. Et c'est bien ce que nous avons fait en partageant ce que nous achetions, en commandant les articles les moins chers du menu et en trouvant les items en rabais à l'étalage de fruits local. C'était un effort d'équipe.

Cette camaraderie était partagée par notre amie espagnole et une Américaine qui a également rejoint notre groupe temporaire. Et c'est ce qui caractérise les amies de voyage que l'on rencontre en cours de route : il y a un sentiment de fraternité que nous partageons sans poser de questions. Nous avons tendance à veiller les unes sur les autres. Nous savons ce que c'est que de se sentir prête pour l'aventure, mais toujours un peu incertaine et un peu nerveuse. Nous planifions nos voyages en nous réjouissant des auberges de jeunesse au bord de la mer, des fêtes, des changements de paysages et du goût des cultures qui ne sont pas les nôtres.

En l'absence de la famille et des amis, nous avons une règle non écrite qui consiste à être là pour les autres femmes qui partagent nos espaces. Lorsque tu voyages - surtout si tu le fais seule – tu fais automatiquement partie de la sororité.

Et pourtant, nous rencontrerons toujours l'inattendu. Entre ces moments forts, il y aura toujours les portefeuilles perdus, les erreurs de navigation, l'homme effrayant dans le bar, la confusion linguistique ou l'estomac à l'envers.

C'est là que tu dois compter sur les autres voyageuses dans ton auberge ou ailleurs. Nous avons une responsabilité entre nous, celui de veiller les unes sur les autres. En l'absence de la famille et des amis, nous avons une règle non écrite qui consiste à être là pour les autres femmes qui partagent nos espaces. Lorsque tu voyages - surtout si tu le fais seule – tu fais automatiquement partie de la sororité. Ce n'est pas que tu ne peux pas obtenir ce soutien indéfectible de la part de voyageurs masculins, de couples ou de familles - j'ai, à de nombreuses reprises, noué des liens solides avec des hommes ou des couples que j'ai rencontrés au cours de mes voyages. C'est juste que les femmes partagent, en général, les mêmes inquiétudes, vulnérabilités et expériences passées. Nous voulons aussi souvent les mêmes types d'aventures. Bien sûr, tu peux t'installer confortablement avec un livre si c'est plus ton truc. Mais tu peux aussi te faire des ailes lors d'une soirée en ville ! C'est ainsi que je vois les choses, en tout cas.

Audree et moi sommes retournées à Cartagena, sur le continent, toutes mouillées, car le ferry - à peine plus grand qu'un bateau de pêche - a traversé les eaux agitées en un temps record, trempant tous les passagers à bord. Nous nous sommes assises dans un restaurant, trempées, pour manger des wraps et planifier nos départs respectifs : elle au Panama et moi à Medellin. Nous nous sommes dit au revoir dans une rue pavée, devant les maisons fleuries de Cartagena, peintes dans des tons vibrants de rose, de jaune et de bleu.

Elle m'a dit: "Bonne vie!" avant de se retourner et de prendre la direction opposée.

Je suis restée là un moment, presque choquée par la permanence de cet adieu. C'est un sentiment étrange que d'être seule dans une partie du monde, sans l'être tout à fait. J'ai partagé toutes ces merveilleuses expériences colombiennes avec personne d'autre qu'elle, et elle était maintenant sur le point de partir. C'est ça qui est triste avec les amis de voyage. Tu te lances à 100% dans une amitié, puis très vite tu continues ton chemin. Ce soutien que nous nous offrons mutuellement et la façon dont nous enrichissons nos expériences respectives dans une situation aussi temporaire sont peut-être ce qui rendent les amies de voyage si spéciales. Je l'ai vu et vécu de nombreuses fois depuis, et c'est avec plaisir que je le vivrai à nouveau.

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