Fêter son anniversaire seule sur une île africaine

25.09.18

Alors que l’avion entamait sa descente, j’ai jeté un coup d’œil à la petite île de Sal de la fenêtre. On aurait dit un tas de poussière plus ou moins défini par le bleu de la mer. Aucun arbre ni buisson à l’horizon. « On dirait plutôt qu’on atterrit sur la lune, non? », a rigolé mon voisin, un pilote en congé. L’île de Sal me semblait aussi plate qu’un 78 tours et son apparence désertique ne faisait qu’amplifier mon sentiment de solitude. Quand on voyage seul, on se sent à la fois badass et vulnérable. Je trouvais ça bizarre d’être toute seule pour mon anniversaire, mais lorsque tu voyages à temps plein, c’est un peu inévitable.

C’était la première fois que j’allais célébrer mon anniversaire en solitaire et, en plus, à l’étranger. Peu importe à quel point j’avais l’habitude d’être seule, j’avais du mal à me faire à l’idée que j’allais devoir allumer la chandelle sur mon propre gâteau.

Ma fête tombait à Pâques et les vols en Europe étaient donc particulièrement chers. En cherchant un vol de la France vers à peu près n’importe quelle destination, j’ai trouvé un bon prix pour l’île de Sal.

Je me suis dit : « Si je suis pour dépenser quelque centaines de dollars, aussi bien aller loin. » J’ai ainsi réservé mon vol sans faire de recherches sur le Cap-Vert.

J’ai vite réalisé qu’il n’y avait qu’une seule auberge sur l’île. Le milieu de l’Atlantique ne fait pas exactement partie de l’itinéraire par excellence des globe-trotteurs.

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Pour être honnête, la seule raison pour laquelle je n’avais pas peur de partir en solo, c’est parce que je savais à quel point il est facile de rencontrer du monde en auberge. Mais si le Cap-Vert faisait exception? Si j’arrivais en pleine saison basse et je me retrouvais seule sur une île déserte?

La seule raison pour laquelle je n’avais pas peur de partir en solo, c’est parce que je savais à quel point il est facile de rencontrer du monde en auberge.

J’ai lu la poignée de commentaires que j’ai trouvée en ligne à propos de l’auberge, mais ce n’était pas assez pour calmer mon anxiété. En me rendant à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, mon assurance de femme indépendante de presque 29 ans a laissé place à un paquet de nerfs.

C’était trop tard pour faire marche arrière. Plantée devant le minuscule terminal de Sal, dépeignée par la brise poussiéreuse, je me suis mise à négocier avec un chauffeur de taxi. J’essayais du mieux possible d’oublier le stress de me savoir seule, à la merci des étrangers et sans téléphone. J’ai respiré profondément avant de monter et de demander au chauffeur de me conduire à l’auberge de Santa Maria.

La voiture s’est arrêtée devant un édifice étroit de quatre étages. Je suis descendue, j’ai lancé mon sac sur mon dos, attrapé le reste de mes choses sur la banquette arrière et payé le montant convenu au chauffeur. Puis, j’ai appuyé sur la sonnette équipée d’une caméra juste en dessous de l’enseigne de l’auberge.

Un jeune homme a ouvert la porte et m’a accueillie.

« Pas de stress », m’a-t-il dit avec un sourire à pleine dent. « Pas de streeeeeeeess », a-t-il répété en me donnant une bine.

Il a sauté les formalités habituelles, oubliant de vérifier mon passeport et de me faire payer. Il m’a directement fait passer au deuxième étage. Avant d’entrer dans le dortoir, quelques voyageurs m’ont saluée : « Hey, ça va? Pas d’stress! »

Avant même que je puisse me présenter, un d’eux m’a invitée à aller manger un hamburger avec eux.

J’ai hésité avant de décliner. Je sentais encore la fatigue causée par le stress, le vol et le sac sur mon dos. J’avais besoin de décompresser.

João, celui qui m’avait accueilli, m’a guidée jusqu’à mon lit. Sa zénitude commençait à faire effet sur moi.

Comme j’étais seule dans mon dortoir, j’ai rangé mon sac et je suis montée au salon. Tout dans l’auberge était couleur pastel et rappelait la mer. Il y avait une guitare, un pouf et des pochettes d’album au-dessus de la porte donnant sur le balcon et la vue du quartier.

Je me suis assise sur le long banc de la table à pique-nique de la salle à manger et, bientôt, deux filles sont arrivées.

« Hey, viens-tu manger avec nous? »

Les deux souriaient sans arrêt en s’approchant de la porte. Elles parlaient parfaitement anglais, mais avec un accent que je n’arrivais pas à identifier.

« Oui, ça me tente! » Je me suis dépêchée de ramasser mes affaires pendant qu’elles repartaient par où elles étaient arrivées. Apparemment, les salutations formelles n’existaient pas ici.

On avait déjà parcouru quelques coins de rue quand elles se sont présentées. « Je m’appelle Zainab et elle, Aya », a dit la plus timide.

Elles étaient nées en Irak, mais avaient grandi à Malmö, en Suède. Une était enseignante et l’autre était docteure; elles étaient en vacances sur l’île depuis une semaine.

On a marché et traversé une place déserte. Les lampadaires se faisaient rares. Les seuls commerces ouverts étaient des dépanneurs où les locaux étaient réunis pour écouter la télé, assis sur des chaises de plastique. À moins d’un coin de rue, il y avait le resto à hamburgers de Kevin, un expat américain qui faisait supposément les meilleurs burgers sur l’île.

J’ai finalement senti des papillons quand je me suis rappelée ce que c’était de visiter de nouveaux endroits et d’en découvrir les secrets.

J’ai finalement senti des papillons quand je me suis rappelée ce que c’était de visiter de nouveaux endroits.

La gang de l’auberge qui m’avait invitée plus tôt était assise dehors, sur la fin de leur repas. À l’intérieur, un groupe d’expats et de locaux jouaient au poker sur deux tables collées remplies de bière. Kevin a déposé ses cartes et est venu prendre notre commande.

On a pris quelques chaises pour aller s’asseoir avec les autres.

Je me suis présentée et j’en ai profité pour mentionner subtilement que j’étais venue au Cap-Vert pour célébrer mon anniversaire. La nouvelle a été reçue avec un « Cool! Y’a toujours quelque chose à faire! » Je n’étais pas tout à fait convaincue. Je me préparais mentalement à fêter seule, comptant les minutes jusqu’à minuit en mangeant un cupcake acheté par nul autre que moi-même, assise dans le noir sur la plage.

Le lendemain, je me suis levée et je suis allée déjeuner dans un café. J’ai passé plusieurs heures sur la plage à me faire griller sous le soleil ardent de l’Afrique et à me saucer dans l’Atlantique. Y’a pas un Crayola qui s’approche de la couleur de l’eau au Cap-Vert. Les tons de bleu sont tellement vifs qu’on dirait qu’ils sont fluo.

La jetée était populaire auprès des touristes qui venaient voir les pêcheurs lancer leurs prises géantes sur le quai. On entendait le bruit des machettes sur le bois, coupant les têtes des poissons qui étaient rejetées dans l’océan.

J’ai emprunté la rue principale où locaux et touristes se saluaient à coups de « pas d’stress » et de sourires. Les cafés débordaient et les plats regorgeaient de fruits de mer pêchés le matin même.

Sur l’île, la musique était omniprésente. Elle s’échappait des boutiques, des cafés et des radiocassettes sur les épaules des locaux qui organisaient des matchs de soccer sur la plage. Les rythmes se mêlaient aux cris des joueurs et aux vagues qui déferlaient sur le sable.

Je suis retournée à l’auberge assez tard et je me suis mordue les lèvres quand j’ai réalisé que j’aurais dû rentrer plus tôt pour être certaine d’attraper tout le monde avant le souper.

À ma grande surprise, il y avait du vin et des fruits sur la table, destinés à devenir de la « sangria d’anniversaire ».

J’ai plutôt trouvé la gang réunie à la cuisine, d’où provenait une musique festive. À ma grande surprise, il y avait du vin et des fruits sur la table, destinés à devenir de la « sangria d’anniversaire ».

Quand on a finalement quitté l’auberge, le soleil était couché et la musique emplissait l’air soufflé par la brise.

Dans les cafés, dans la rue, dans les bars, on entendait des instruments et des chants résonner. On voyait des gens danser partout. Un verre à la main, on s’est unis à la foule et notre groupe éclectique d’étrangers s’est laissé emporter par le rythme. Il n’y avait pas une once d’insécurité ou de jugement dans l’air.

Finalement, je n’ai pas eu à surveiller ma montre parce que tout le monde, à un moment ou à un autre, a assuré le décompte jusqu’à minuit. À l’heure tant attendue, deux de mes nouveaux amis sont revenus du bar avec un shooter et un Grogue (alcool local de contrebande à base de rhum) que j’ai bus pendant qu'on me chantait bonne fête.

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Entre les câlins de ces étrangers devenus amis, je me suis souvenue de la principale raison pour laquelle je voyage : la vulnérabilité totale de ceux qui se retrouvent en dehors de leur zone de confort, en terrain neutre, à l’étranger. La connexion a été instantanée. Tout le monde était libre d’être soi-même, ce qui donnait lieu à des échanges authentiques et purs. (Faut dire que le fait d’être sur l’île la plus zen au monde a dû aider.)

J’étais partie seule pour l’île de Sal, mais ça n’avait pas d’importance. Il ne tenait qu’à moi d’en profiter. Ces voyageurs de partout qui, comme moi, s’étaient retrouvés sur cette île apparemment déserte m’ont rappelé ce qui compte vraiment dans la vie.

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