Coup de foudre en terre de feu et de glace

Illustré par Alice Clair

28.03.17

De mon hublot d’avion, j’ai aperçu une terre très semblable à l’image que je me faisais de Mars : sol volcanique, formations rocheuses, étendue qui n’en finit plus, avec rien autour. Pas un arbre en vue, pas de gratte-ciel, pas de route embouteillée, pas de centre commercial. 

Quand l’appareil s’est mis à descendre, j’ai commencé à remarquer des maisons colorées ça et là aux abords d’une côte dentelée et hostile, et de ce qui avait drôlement l’air d’un champ de lave. Mais qu’est-ce que j’allais bien faire ici pendant six jours?

Les contrées sauvages et éloignées m’avaient toujours attirée. Depuis la fin du secondaire, je me voyais explorer le « Grand Nord », l’endroit où on apprend à survivre pour de vrai, à braver les éléments et à toujours tirer le meilleur de chaque situation. Je savais que cette partie du monde attirerait d’autres gens comme moi, ceux qui ont un goût de liberté sauvage, d’aventure.

Ce que j’ignorais, c’est que ce voyage chamboulerait ma vie.

J’y étais enfin. J’étais en Islande, la terre mystérieuse et lointaine qui hantait mes rêvasseries depuis mes 16 ans. Je l’avais bien planifié ce voyage, avec chaque jour des excursions incroyables au menu : randonnée sur un glacier, plongée en eaux glacées entre les plaques tectoniques, exploration de grottes dans la noirceur totale et visite des portes de l’enfer. 

Ce que j’ignorais, c’est que ce voyage chamboulerait ma vie. Cette aventure allait m’apprendre qu’on pouvait voyager autrement qu’en s’inscrivant à des activités touristiques et en planifiant le moindre détail. 

Elle me ferait goûter aux plus intenses moments de bonheur et d’insouciance de toute mon existence. Elle m’amènerait à découvrir un être unique. Quelqu’un qui me pousserait à remettre en question tout ce que je croyais naïvement connaître des gens et du monde.

Faisant mon possible pour apprendre à conduire à droite, j’ai parcouru de longs tunnels et sillonné de hautes montagnes pour atteindre ma destination. Des centimètres et des centimètres de neige sont tombés. Je riais de joie, toute seule dans ma bagnole. Premier arrêt : Akureyri. Je suis entrée dans cette petite ville, à la limite du cercle polaire arctique, et j’ai sorti ma carte pour trouver mon chemin jusqu’à l’auberge. Dans un tintement, j’ai tourné ma clé dans la serrure du dortoir et j’ai entendu une voix provenir de l’autre bout de la pièce : « On dirait qu’on a un nouveau visiteur. »

Driving Through Iceland

Un grand brun avec les cheveux en bataille s’est levé de sa couchette et est venu me saluer dans l’air chaud ambiant : « Salut, moi c’est Dan. » Il portait un tricot duveteux marron pâle. De jolis rennes caracolaient sur sa poitrine… les touristes peuvent rarement résister aux gilets de laine traditionnels islandais faits à la main. Je sais de quoi je parle, j’ai moi-même succombé.

Dan était Canadien. Il venait de la Nouvelle-Écosse. Il avait voyagé avec un ami de là-bas avant que les deux décident de se séparer. Il m’a planté son petit doigt sous les yeux et a commencé à me raconter ce qui lui était arrivé la dernière fois qu’il avait fait du pouce. Son ongle était violet, presque noir, et se transformait rapidement en un immense bleu. Pas moyen de le rescaper, il allait tomber; le point de non-retour était franchi. 

« Où tu t’en vas? », je lui ai demandé. « Vers l’est », qu’il m’a dit.

Dan s’était fait embarqué par Thor, un Islandais qui n’aurait pas pu mieux porter son nom… tatouage de foudre sur l’avant-bras et tout le kit. En sortant sur le bord de l’autoroute, Dan s’était fermé la portière sur le doigt, puis s’était retrouvé tout seul dans la pluie glaciale. Après avoir abandonné l’idée de camper cette nuit-là, il s’était pointé à l’auberge. 

« Où tu t’en vas? », je lui ai demandé. « Vers l’est », qu’il m’a dit.

Sur la longue route en zigzag venteuse qui devait nous mener à un cratère volcanique, on a fait un arrêt, pour finalement découvrir une grotte avec un bain thermal naturel à l’intérieur. On a trempé nos orteils dans l’eau cristalline. La chaleur les a vite fait tourner au rouge. 

On s’est baignés dans les cascades brumeuses, on a fait des bonds avec des cailloux sur des lagons de glace, on a observé des rennes sauter par-dessus des clôtures, on a déambulé le long des fjords et on s’est raconté des souvenirs en écoutant de la musique du secondaire stockée sur un iPod.

En l’espace de deux semaines, on avait fait le tour du pays. J’avais rencontré des centaines de voyageurs durant mes trois derniers mois passés en Europe, mais dès le premier jour où j’avais fait la connaissance de Dan, j’avais su que, cette fois, c’était différent. Il avait une tronche sympathique, mais aussi un lourd bagage. Même si j’étais une parfaite étrangère, il s’est ouvert à moi, m’a parlé de ses moments les plus difficiles et m’a poussée à faire pareil. C’est une des choses qui m’a le plus frappée chez lui. Et c’est comme ça que la complicité s’est tout de suite installée, à coups de franchise dès le départ. Chaque jour, dans ma petite auto louée, on se partageait nos pensées, nos malheurs et nos joies le plus naturellement du monde. On a poursuivi notre route et je ne l’ai jamais déposé.

Ça fait maintenant trois ans qu’on est ensemble, et l’aventure continue. Dire que tout ça a commencé par cette balade en voiture vers une auberge islandaise.

Colored Houses In Iceland
Cet article fait partie du
Numéro 3

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