Comment une nouvelle amitié m’a poussée à m’installer en Amérique du Sud
Je le savais pas à l’époque, mais l’emploi d’été que j’avais en début vingtaine allait changer ma vie. À 21 ans, j’ai passé trois mois à travailler comme hôtesse dans un restaurant sur une terrasse achalandée de Toronto qui dominait le lac. On manquait cruellement de personnel et on restait ouvert malgré les pannes d’électricité et les pénuries de pâtes.
Je travaillais avec Mirella, une Brésilienne pétillante qui m’aidait à tolérer le chaos. Après le travail, on avait l’habitude de partager une pizza au prosciutto, de sortir au centre-ville ou de visiter les îles de Toronto. Quand on sortait, elle nous gagnait des drinks gratuits. On se faisait de la bonne bouffe et on se racontait nos histoires. Je lui faisais des blagues constamment parce que je savais qu’elle était capable d’en prendre. Elle finissait toujours par sourire avant de pouffer de rire. Ça a cliqué et, avec elle, mes quarts de travail passaient beaucoup plus vite. Le seul point négatif de notre amitié était qu’elle retournait au Brésil à la fin de l’été. Je me disais qu’on serait amies le temps de quelques mois. C’était dommage, mais c’était la réalité.
Une fois l’automne arrivé, je suis retournée à l’école pour finir mes études en journalisme. Après l’obtention de mon diplôme, je prévoyais trouver une job dans un magazine et prendre racine à Toronto. Au fur et à mesure que je découvrais le monde de la rédaction, j’espérais éventuellement acheter un appartement et rencontrer quelqu’un de spécial. C’était mon objectif. Il n’y avait pas de plan B.
J’espérais éventuellement acheter un appartement et rencontrer quelqu’un de spécial. C’était mon objectif. Il n’y avait pas de plan B.
Un an et demi après avoir travaillé avec Mirella, je lui ai écrit sur Facebook en me disant que je pourrais aller la visiter. Je venais d’avoir mon diplôme et je travaillais au centre-ville pour un magazine financier, mais j’avais envie de voyager pour célébrer un peu avant de m’installer pour de bon. J’étais jamais allée au Brésil. En fait, à ce moment-là, je n'avais vu que les États-Unis, le Canada et l’Irlande. À la fin de notre conversation, mon voyage était planifié. En septembre de la même année, je m’envolerais pour Recife.
Mes deux semaines au Brésil ont éveillé une curiosité que je ne pensais pas avoir. Chaque nouveau plat était meilleur que le précédent. Je me promenais de quartier en quartier les yeux bien écarquillés devant toutes les maisons colorées et, pour la première fois, j’étais immergée dans une langue étrangère. J’ai découvert la cuisine traditionnelle brésilienne, comme la feijoada (ragoût de haricots et de porc) et la coxinha (poulet frit). Évidemment, j’ai mangé une tonne de steaks. Je me suis levée à 5 heures du matin pour courir jusqu’à un belvédère surplombant la ville encore endormie. On a fait un roadtrip avec deux de ses meilleures amies et je me suis allongée sur une plage magnifique. J’ai même appris quelques phrases en portugais. J’ai assisté à un 30e anniversaire et j’ai vu comment les Brésiliens célèbrent les grandes occasions. Mirella m’a fait visiter la cuisine de la boutique de chocolat qu’elle tenait avec sa sœur. Après mes sorties de jogging, je buvais du jus de fruits frais et de l’eau de coco et j’admirais les nombreuses plantes tropicales. Je suis retournée à Toronto impatiente de repartir. J’avais découvert une toute nouvelle facette de ma personnalité.
Comme c’est souvent le cas avec les amitiés à distance, j’ai tranquillement perdu Mirella de vue. Nos contacts étaient limités et se résumaient à quelques rares messages sur les médias sociaux. Après le Brésil, je suis retournée en Amérique du Sud, curieuse de découvrir d’autres endroits. En 2016, j’étais plutôt satisfaite de ma vie dans mon appartement de Toronto et de mon travail comme rédactrice Web. J’ai pris deux semaines de vacances en Colombie et, quelque part entre les randonnées dans la nature luxuriante des Andes et les bars de salsa animés, quelque chose a changé. Soudainement, deux semaines me semblaient bien peu et Toronto commençait à perdre de son éclat à mes yeux.
Peu convaincue d’être du genre à tout abandonner pour voyager, j’ai tout de même tenté de planifier une année dans le Sud.
Dans les mois suivants, l’envie tenace de vivre en Amérique du Sud a grandi. Peu convaincue d’être du genre à tout abandonner pour voyager, j’ai tout de même tenté de planifier une année dans le Sud. J’ai perdu l’objectif de vue à quelques reprises, mais lorsque 2017 a sonné, ma résolution pour la nouvelle année était claire : préparer mon départ pour 2018. J’ai commencé à économiser et à faire de la pige.
L’année dernière, j’ai écrit à Mirella. Je lui ai dit que je repartais pour l’Amérique du Sud et que, cette fois, c’était à long terme. C’est sa générosité qui m’a poussée sur cette voie. Mirella m’a reçue chez elle, m’a présentée à sa famille et à ses amis, m’a montré ce que le Brésil a à offrir et m’a aidé à surmonter la barrière linguistique. Sans son grand cœur et son coup de main, je n’aurais peut-être jamais découvert ma passion pour le voyage.
Mirella s’était installée à Chicago et avait aussi des nouvelles : elle allait se marier et j’étais invitée. L’automne dernier, je me suis donc envolée pour Chicago en vue du jour J. C’était une fin de semaine inoubliable. Tous ses amis que j’avais rencontrés au Brésil étaient présents. J’ai parcouru les rues du nouveau quartier de Mirella et j’ai même participé à l’écriture du discours de demoiselle d’honneur de sa sœur. Avant de repartir pour Toronto, Mirella m’a fait remarquer à quel point la vie pouvait changer. Elle n’avait jamais pensé qu’elle se marierait un jour à Chicago et, à l’époque où on travaillait ensemble, aucune de nous deux n’aurait imaginé que j’assisterais à son mariage et que j’aiderais sa sœur à écrire son discours.
Il y a six ans, m’installer à Toronto semblait le meilleur choix à faire, mais j’avais tort.
Grâce à elle, j’ai appris que ce sont souvent ceux que l’on soupçonne le moins qui affectent le plus notre vie. Je ne pense pas que j’aurais été attirée par l’Amérique du Sud si je n’étais pas devenue amie avec Mirella. J’ai passé six des sept derniers mois à Medellín, en Colombie. Ça fait maintenant quatre ans que je suis allée au Brésil et je suis actuellement en Équateur. Je passe mes journées à goûter de nouveaux plats, à faire de la randonnée dans les Andes, à étudier l’espagnol et à rencontrer d’autres voyageurs qui partagent les mêmes valeurs. J’ai monté à plus de 5 000 mètres d’altitude (le plus haut point que j’aie atteint sur cette terre), j’ai exploré deux littoraux et j’ai visité un pays toute seule pour la première fois. Je me suis aventurée dans la forêt de nuages de la région productrice de café de Colombie et j’ai pêché ma première truite près d’un petit village dans les montagnes. Il y a six ans, m’installer à Toronto semblait le meilleur choix à faire, mais j’avais tort.
Si, au début de ma carrière d’hôtesse sur cette terrasse de fou, quelqu’un m’avait dit qu’une simple amitié avec une collègue allait changer ma vie de façon inattendue, j’en aurais douté. À l’été 2012, je ne pensais à rien d’autre que de faire passer le temps avant la fin de mon quart de travail.
Numéro 5