Comment voyager m'a permis de me remettre d'une rupture

09.02.18

Il était tout ce dont je rêvais à l’époque et c’est pour ça que je l’aimais. J’aimais son énergie débordante, la façon qu’il avait de me faire sentir spéciale et le piment tatoué sur sa hanche par son père. On habitait dans une petite ville, on fréquentait la même école d’art qui donnait sur le fleuve, on se promenait à vélo, on allait au marché, on profitait des terrasses, on allait danser les week-ends et on revenait pieds nus, titubant jusqu’à chez lui ou chez moi, soit trois maisons plus loin.

Je ne sais plus quand j’ai réalisé – et vite nié – que je n’étais plus heureuse. Peut-être quand je me suis tannée de faire constamment la fête avec lui, quand je n’ai plus eu assez d’énergie pour le suivre.

J’étais en train de changer : je m’étais fait de nouveaux amis et je voulais autre chose. Même si une partie de moi savait que ça ne marchait plus entre nous deux, j’étais terrifiée à l’idée qu’il s’ennuyait avec moi, de ne plus être assez. Il sortait de plus en plus sans moi, m’écoutait de moins en moins et passait plus de temps à regarder son téléphone que moi. Je me sentais inadéquate et commençais à me dire que j’étais devenue plate, que je n’étais pas aussi belle ni aussi spontanée que les filles qu’il zieutait dans la rue.

Quand j’ai su qu’il avait discrètement renoué avec une ex, j’ai paniqué et je l’ai confronté. Il venait de confirmer mes craintes et mon insécurité, alors je l’ai laissé après deux ans de relation. Je me suis sentie stupide d’avoir été aveugle aussi longtemps, surtout après avoir su qu’il m’avait déjà trompé et qu’il avait agi trop souvent comme un gars célibataire. Mes amis ont voulu me consoler avec des rengaines classiques à la Je l’ai jamais vraiment aimé et des histoires de club où il avait été vu en train de danser avec d’autres filles et de cruiser des inconnues. Même son coloc était soulagé que je le laisse, me disant que je méritais mieux que lui. Je riais en essayant d’avoir l’air de celle qui l’avait quitté au bon moment, mais en réalité, je riais jaune tellement j’avais honte. J’ai passé les jours suivants au lit, trop paresseuse et triste pour pelleter l’escalier qui menait à mon appart, trop fatiguée pour faire quoi que ce soit.

Après la tristesse est venue la colère, puis la détermination. Je me suis dit tant pis, je m’en vais. Pour la première fois, je me sentais libre d’être qui je voulais sans lui à mes côtés. Je savais que j’avais besoin de temps et, surtout, de me distancier de lui. J’ai ouvert mon ordi et fait des recherches sur le travail à l’étranger. Je suis entrée en contact avec une femme d’une minuscule ville irlandaise, Dingle, trouvée sur un site au pair.

Après la tristesse est venue la colère, puis la détermination. Je me suis dit tant pis, je m’en vais.

J’ai accepté d’aller passer cinq mois dans son auberge au printemps. Je prendrais soin de ses trois enfants pendant qu’elle travaillerait. J’avais l’impression de faire tout un saut. On a parlé sur Skype, j’ai rencontré ses enfants et l’idée de ma nouvelle vie qui m’attendait est vite devenue une obsession. Je me voyais faire du vélo à travers les vallons verdoyants de l’Irlande dans la brume matinale, jouer à l’exploratrice avec les enfants de jour, trinquer au pub du coin de soir, écouter de la musique folk et marcher sur la plage. Je m’imaginais porter des chandails de laine et des bottes de randonnée, faire pousser mes cheveux et laisser la pluie et le vent rosir mes joues. Je serais une nouvelle personne. Je laisserais tout derrière moi et je me perdrais dans cette petite ville pluvieuse au bord de la mer.

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Puis, il est venu cogner à ma porte et m’a demandé d’entrer. L’air froid qui s'est faufilé avec lui m’a sorti de mon coma vaporeux. Il s’est excusé d’avoir texté son ex dans mon dos, tout en essayant subtilement de me faire comprendre que j’avais réagi un peu fort. Il m’a promis qu’il n’était rien arrivé avec elle (ils s’étaient juste parlé, après tout!) et que tous les potins que j’avais entendus étaient de l’histoire ancienne ou des rumeurs ridicules inventées par mes amis qui ne l’avaient jamais vraiment aimé. Je voulais le croire. J’ai commencé à douter de moi, à douter de tout. Après deux ans de relation, l’idée d’être seule me terrifiait.

Je me demande encore ce qui serait arrivé si j’étais partie à Dingle. J’aimerais dire que j’ai tout laissé derrière et que j'y suis allée, mais ce n’est pas le cas. Il ne m’a même pas vraiment demandé de ne pas y aller. Je me suis simplement convaincue que j’en étais incapable, que c’était trop pour moi. J’ai annulé le voyage et on a décidé de travailler sur notre couple. Puis, j’ai fait une dépression. Je me suis tournée vers lui en quête de réconfort, ce qui était ironique sachant que c’était lui qui avait en partie causé ma mélancolie. J’ai perdu mon emploi et, comme ses colocs étaient tous partis et qu’il vivait maintenant seul, j’ai emménagé avec lui. J’avais peur de la solitude.

D’un jour à l’autre, je me suis retrouvée à partager une grande maison silencieuse avec un homme dont j’étais tombée amoureuse deux ans auparavant, mais que je reconnaissais de moins en moins. Je me suis tranquillement éloignée de mes amis qui m’avaient félicitée pour ma rupture et dépendais de plus en plus de lui. Je m’entêtais à ignorer la vérité, car je préférais rester dans ma zone de confort. Je n’avais ni l’énergie ni le courage d’imaginer ma vie autrement. Je m’étais convaincue qu’aucune relation n’est parfaite et repensais aux balades en vélo, au marché et aux terrasses. Je voulais vraiment être celle qu’il désirait, celle dont il avait besoin, alors qu’il n’était rien de tout ça pour moi.

Je préférais rester dans ma zone de confort. Je n’avais ni l’énergie ni le courage d’imaginer ma vie autrement.

La maison était presque vide et j’entendais l’écho de mes pas quand je passais dans le salon ou quand je montais les escaliers. J’avais hérité des deux chats de ma sœur qui était partie en Indonésie pour six mois, je cueillais des fleurs pour les mettre sur la table, j’avais accroché des lumières. J’ai réorganisé les quelques meubles qu’on avait dans un coin du salon pour avoir au moins un petit coin confortable, pour me sentir chez moi.

Quand il partait travailler, je me prélassais dans la cour au soleil, lisais et rêvassais. Lorsqu’il revenait, on faisait à souper, on nettoyait et on écoutait un film. Il ne remarquait jamais les fleurs sur la table.

Je sais pas quand j’ai compris que j’avais besoin de plus. Peut-être un soir après l’avoir attendu sur le sofa avec les deux chats, à moitié endormie, et l’avoir vu rentrer au petit matin avec une odeur de bière et aller se coucher sans même me regarder. C’est là que l’idée de partir est revenue. J’ai jeté un coup d'oeil autour de moi et j'ai réalisé que rien ne m’appartenait. Ce n’était pas chez moi et cette vie n’était pas la mienne.

Une fois de plus, j’ai ouvert mon ordi. J'ai réactivé mon compte au pair, j’ai indiqué « n’importe où » comme destination préférée et j’ai cherché des familles d’accueil. J'ai envisagé différents pays et me suis imaginée différentes vies. Je me voyais autant boire du vin en France que ramasser des coquillages sur les plages d’Australie. Je suis tombée sur une famille italienne à la recherche d’une prof d’anglais privée pour leur fille. Peu à peu, l’idée de flâner dans les rues de Florence, gelato en main, s’est forgée dans ma tête. Et comme une photo de Polaroid, plus le temps passait, plus l’image s’éclaircissait.

J'ai envisagé différents pays et me suis imaginée différentes vies. Je me voyais autant boire du vin en France que ramasser des coquillages sur les plages d’Australie.

Je me souviens du jour où ma sœur est venue me chercher pour m’amener à l’aéroport. On a chargé mon énorme valise dans l’auto et on a embarqué les chats. Je lui ai dit au revoir rapidement dans notre salon vide. Je n’étais sûre de rien. Je lui ai dit que je reviendrais dans cinq mois et il m’a répondu que ça nous ferait peut-être du bien. On s’est juré de se tenir au courant.

Quand j’ai débarqué de l’avion à Florence, j’ai eu envie de vomir. Je ne sais pas si c’était dû à la chaleur, à la fatigue ou à l’impression d’avoir fait la plus grosse erreur de ma vie. J’ai entendu une femme appeler mon nom et je l’ai suivie dans sa voiture. Elle m’a parlé sans arrêt jusqu’à chez elle en me montrant le magnifique fleuve Arno qui divise la ville en deux et la vue incroyable depuis les ponts, mais je ne l’écoutais pas. Je retenais mes larmes en pensant que j’étais maintenant vraiment loin de chez moi.

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Les premières semaines, je n’ai presque pas dormi. Je restais éveillée la moitié de la nuit, à suer sous la chaleur de septembre ou à être dévorée par les moustiques qui rentraient par la fenêtre grande ouverte dans l’espoir de sentir une brise. Je finissais par m’endormir en pleurant, sachant que j’étais là où il le fallait, car le chez-moi dont je m’ennuyais n’était qu’un souvenir.

Un jour, en marchant dans la rue, un homme m’a offert une fleur en soie. Je l’ai mise dans une tasse que j’ai placée sur ma table de chevet et je me suis rappelé les derniers mois de ma vie qui s’effaçaient de plus en plus vite de ma mémoire.

Je me suis efforcée de suivre la vague, j’ai déambulé dans les rues tortueuses, mappe à la main, tentant de ne pas m’égarer. Je mangeais du gelato et j’essayais de comprendre la différence avec la crème glacée. Je tentais de me faire des amis et je me suis même fait inviter par un petit groupe de travailleurs au pair, mais j’ai tellement bu que j’ai fini la soirée en pleurant et en vomissant en pleine rue.

J’avais atteint le fond du baril. Le lendemain, je me suis assise dans mon lit et j’ai décidé que j’en avais assez d’être malheureuse. J’ai recommencé à courir et je me suis inscrite à un studio de yoga. Je me suis fait des amis, des expatriés qui, comme moi, se démenaient pour apprendre une nouvelle langue et s’adapter à une culture différente. Ils ne me connaissaient pas, ne savaient pas que j’étais triste et n’avaient pas besoin de savoir. J’ai commencé à écrire et voyager. J’ai vu Cinque Terre, Rome, Venise et Budapest. J’avais toujours mal, mais la douleur n’était plus aussi intense. J’oubliais tranquillement son odeur, la couleur de son vieux sofa et si les fleurs étaient des marguerites ou des rudbeckias. J’ai finalement retrouvé ma spontanéité, mon insouciance et ma légèreté. Un jour, alors que j’étais au café où mes amis et moi nous rencontrions religieusement tous les jours à 10 h pour un cappuccino, un garçon s’est approché pour me dire dans un anglais moyen que j’avais un sourire radieux. J’avais enfin fait peau neuve.

Peu à peu, mon départ a arrêté de me définir. Je ne m’enfuyais plus. J’étais simplement ailleurs. Je regardais en avant plutôt que derrière.

La destination n’était pas importante, le départ, lui, oui.

Trois ans plus tard, je suis encore en Italie. La fille que j’étais est maintenant une coquille vide, un cocon d’où j’ai éclos. Je devais me redéfinir ailleurs et je l’ai fait dans une ville où je ne connaissais personne et où personne ne me connaissait. La destination n’était pas importante, le départ, lui, oui.

J’ai appris à aimer à nouveau, à faire confiance, à me définir non seulement en fonction de quelqu’un d’autre, mais aussi selon mes propres capacités et mes désirs. Avec le temps, j’ai décroché un emploi comme prof d’anglais dans une école. J’ai trouvé un appart et je me suis fait des amis qui sont restés et d’autres qui sont partis.

On se laisse souvent entraîner dans une routine confortable, même si elle est loin d’être parfaite. C’est rassurant, mais c’est en repoussant nos limites qu’on découvre ce dont on est capable. Foncer droit vers l’inconnu m’a aidé à me redécouvrir et, sans cet océan qui me séparait de la maison, je serais sans doute retombée dans ma vieille routine comme je l’avais fait avant. Une fois partie, j’ai été obligée de m’habituer à une nouvelle ville, de me faire de nouveaux amis si je ne voulais pas être condamnée à rester seule et j’ai recommencé à respirer.

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L’été dernier, je suis retournée au Canada et je me suis finalement sentie chez moi. Ma petite ville ne me faisait plus peur comme ça avait été le cas lors de mes dernières visites. J’étais même nostalgique. Maintenant que j’ai mon chez-moi en Italie, le Canada ne me donne plus envie de fuir, mais plutôt d’y retourner. Quand j’en parle, c’est avec enthousiasme et affection.

Vers la fin du mois de juillet, je me promenais à vélo en ville et je me suis arrêtée à un feu rouge. Un autre cycliste s’est arrêté tout juste devant moi. J’ai reconnu son vélo, son chandail, sa casquette. C’était comme si on se promenait comme on l’avait fait tant de fois, moi légèrement derrière, incapable de suivre son rythme.

« Salut. »

Il s’est retourné, a enlevé ses lunettes de soleil et m’a répondu, surpris : « Salut, qu’est-ce que tu fais ici? »

J’ai souri quand j’ai compris qu’il ne me faisait plus rien. J’aurais pu lui parler de tant de choses : mes aventures, mes nouveaux amis, la nourriture, ce que j’avais appris… mais tout ça m’appartenait. C’était mes histoires et j’avais envie de les garder pour moi.

« Je ne fais que visiter. »

Cet article fait partie du
Numéro 3

Histoires de coeur