Les réflexions d'un voyageur non-hétérosexuel et non-cisgenre

22.03.17

Cette semaine marque le deuxième anniversaire du jour où j’ai pris un avion qui m’a emmené loin d’Adelaïde, la capitale de l’état où j’ai grandi, tout droit à Dubaï, puis à Londres. Depuis, j’ai vécu dans huit régions de trois pays différents et j’en ai visité sept autres.

Mes expériences en tant que jeune non hétérosexuel et non cisgenre ont été hautes en couleur. À certains endroits et à certains moments, mon genre et mon orientation sexuelle n’étaient pas du tout importants, ou du moins en apparence, alors qu’à d’autres, oui. Le fait que la question du genre soit un sujet aussi chaud à travers le monde m’exaspère, mais ça ne veut pas dire qu’elle doit être ignorée. En général, j’ai compris qu’il s’agit de trouver le juste milieu entre la prudence et l’ouverture.

"Quand je déménage à un nouvel endroit, je teins mes cheveux d’une couleur naturelle, j’arrête de porter du vernis à ongles ou du maquillage"

Habituellement, quand je déménage à un nouvel endroit, je teins mes cheveux d’une couleur naturelle, j’arrête de porter du vernis à ongles ou du maquillage et je porte des vêtements plus discrets. Ça dure jusqu’à ce que je trouve un emploi, un endroit où rester et quelques amis. Puis, graduellement, je m’ouvre et je commence à m’exprimer plus spontanément, avec plus d’assurance. Ce que je raconte ne s’applique pas seulement aux personnes de la communauté LGBTQI+. Nous le faisons tous. On est attentifs et attentives à ce qui nous entoure, on évalue la situation, puis on agit en conséquence. Ceux et celles qui ne le font pas, souvent les hommes ou les gens en groupe, peuvent paraître maladroit.e.s ou arrogant.e.s. En voyage, la nouvelle variable, c’est nous. C’est donc à nous de nous adapter. Comme les gens non hétérosexuels et non cisgenres tentent plus souvent de camoufler leurs différences, ils ont beaucoup de pratique dans le domaine. Je dois dire que je m’y connais : à l’adolescence, j’ai été sans-abri et j’ai habité avec mille et une familles. Je devais m’adapter à la dynamique de chaque nouvelle famille et trouver le juste milieu entre me cacher et être moi-même. C’est difficile, mais on s’améliore avec le temps.

J’ai grandi en Australie-Méridionale. Même si c’est un pays progressiste dans certains domaines, la question du genre reste assez épineuse. À un tout jeune âge (depuis ma naissance, en fait), on a considéré que j’étais efféminé et, pendant 21 ans, j’ai eu de la difficulté à interagir avec les autres sans me faire critiquer. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis parti et pour lesquelles j’ai plutôt bien réussi à m’adapter aux endroits que j’ai visités depuis.

Quant à mes expériences un peu plus récentes, j’en ai vécu un peu partout dans le monde…

"C’est une question d’offrir un bon service à la clientèle; pour moi, c’était très gai"

Le Maroc est incroyable! En fait, incroyable dans la mesure des neuf petites heures que j’ai passées à Tenerife. C’était ma première et unique expérience de visite organisée. C’était la première fois que je jouais autant les touristes et même si mon expérience n’a pas été des plus authentiques, elle a tout de même été intéressante. L’homosexualité est interdite au Maroc, ce qui veut dire que contrairement à l’Australie ou à Londres où l’homosexualité est mal vue, mais légalement acceptée, les Marocains et Marocaines n’ont aucun problème avec l’affection entre hommes. Ils peuvent se tenir par la main et s’embrasser dans la rue. C’est presque mignon si on oublie la raison pour laquelle ils considèrent ce comportement acceptable. Pendant ma visite, on m’a emmené essayer des robes. Les hommes qui m’ont dévêtu et vêtu avaient les mains beaucoup plus baladeuses que les vendeurs d’H&M. Ils complimentaient tellement mon corps que je ne pouvais m’arrêter de rire. Évidemment, c’est une stratégie pour faire de l’argent. Pour eux, c’est une question d’offrir un bon service à la clientèle; pour moi, c’était très gai.

Je compare tous les lieux que je visite à Londres : la ville de mes rêves. Personne ne te demande d’où tu viens parce personne ne vient de Londres. Personne ne te demande si tu as des piercings et des tatous parce que tout le monde en a au moins un quelque part. C’est la ville où, si tu as les couilles de poser des questions sur le genre ou l’orientation sexuelle de quelqu’un, tu dois être prêt à écouter la réponse (par exemple, je suis demisexuel non-binaire et célibataire). À Londres, il est mal vu d’être désagréable avec les étrangers. De temps en temps, tard un vendredi soir, en marchant dans la rue, on peut entendre quelqu’un lâcher aggressivement « Voyons, personne ne parle anglais dans cette ville? » C’est ce genre d’attitude qu’on n’aime pas. Pas dans cette ville. C’est pour ça que je m’y sens à la maison.

Je compare donc automatiquement les autres cultures à celle de Londres. En Grèce, les gens m’arrêtaient dans la rue pour prendre ma photo (j’avais les cheveux verts). Si j’avais moins de chance, on me traitait de « malaka » ou on me lançait des fruits. Cela dit, c’est dans ce genre de places que la différence unit. En Grèce et en Espagne, j’ai tissé des liens avec des queers (rien de sexuel, je te jure) bien plus vite et de façon bien plus ouverte que n’importe où ailleurs. Ils et elles voyaient mes cheveux verts et savaient que je serais leur ami pour une journée ou une soirée (je suis toujours ami avec certain.e.s).


À Wandsworth, j’ai habité avec une famille ultra conservatrice. En entrant dans la maison, il y avait un énorme portrait de Sharon, la mère de la famille, et de Margaret Thatcher. J’ai dû jouer la comédie un peu plus qu’à l’habitude. Pas de maquillage, pas de vernis à ongles. Quand on racontait des histoires sur nos relations antérieures à la table, je parlais de mes copines seulement, jamais de mes copains. Je n’étais pas vraiment moi, mais plutôt une version qui convenait à mon entourage.

"Je n’étais pas vraiment moi, mais plutôt une version qui convenait à mon entourage"

Comment est-ce que le monde évolue pour les gens non hétérosexuels et non cisgenres? On aurait tendance à croire que l’on progresse lentement, mais sûrement, mais je n’en suis pas si sûr. J’ai vécu sur trois continents durant des périodes de grands changements politiques : en Australie au moment de l’élection de Tony Abbott en 2013, en Europe au moment du Brexit en 2016 et en Amérique du Nord quand Trump s’est vu donner l’accès aux codes nucléaires en 2017. C’est dans ces moments-là que l’illusion de progrès s’évanouit. Le monde entier n’est pas Londres ou New York, il ne faudrait pas l’oublier.

"On doit s’impliquer, être visible, mais on doit aussi prendre soin de nous, agir et s’exprimer de façon réfléchie"

Les gens non hétérosexuels et non cisgenres n’auront jamais la confiance des hétéros et des cisgenres, ou du moins, pas avant un bon moment. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire partie de la culture dans laquelle on vit, ou celles qu’on découvre ailleurs dans le monde, en voyageant. On doit s’impliquer, être visible, mais on doit aussi prendre soin de nous, agir et s’exprimer de façon réfléchie.

Même si ça n’a pas toujours été facile, le fait d’immigrer, comme celui d’être sans-abri, a eu un impact positif sur mon esprit et mon âme. J’ai vu tellement de choses, j’ai eu tellement d’emplois, je me suis excusé en tellement de langues pour ne pas avoir fait attention en traversant la rue... En fin de compte, ce sont les gens qui font la différence. J’ai écouté tellement d’histoires et d’idées et conté les miennes en retour. J’ai parfois senti les murs qui nous séparent s’écrouler, à d’autres moments, je sentais qu’ils étaient bien là. C’est pour ça que les gens voyagent au départ, non? Pour apprendre de chaque endroit et grandir… En espérant que les endroits visités évoluent aussi avec ton passage.

"le fait d’immigrer, comme celui d’être sans-abri, a eu un impact positif sur mon esprit et mon âme"

Finalement, je ne suis jamais à l’aise de parler de ces choses-là sans mentionner les vraies victimes des préjugés. Ça me choque que ça soit si difficile d’être moi-même à chaque endroit où je vais. Cela dit, mon cas est assez léger en comparaison de celui des réfugié.e.s. Chaque fois qu’on est confronté à un défi ou qu’on est oppressé, on doit se baser sur notre expérience pour exprimer plus d’empathie envers ceux qui vivent ce genre de situations dans un contexte bien plus cruel et urgent.

"La communauté LGBTQI+ doit non seulement continuer à lutter pour sa propre liberté, mais aussi pour celle des autres"

Alors que le Brexit prend effet ce mois-ci et que Trump continue de réaliser ses promesses, on doit se rappeler ce que l’on sait déjà : toutes et tous méritent d’être en sécurité et libres. Si ce n’est pas le cas, ils et elles devraient avoir la possibilité d’aller là où ils auront plus de chances de faire valoir leurs droits. La communauté LGBTQI+ doit non seulement continuer à lutter pour sa propre liberté, mais aussi pour celle des autres.

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