Être cœliaque a changé ma façon de voyager, mais j’ai trouvé des nouvelles façons de kiffer mes aventures
Quand j’étais petite, je me faufilais dans le sous-sol de ma grand-mère pour fouiller dans ses vieux carnets de voyage. Je m’asseyais sur son carrelage, lisant ses récits d’aventures à l’étranger et rêvant du jour où j’aurais les miennes.
Ma grand-mère notait tout : les endroits qu’elle visitait, les gens qu’elle rencontrait et les paysages qu’elle découvrait. Mais ce qui me fascinait le plus, c’était ses descriptions de nourriture. Elle détaillait chaque repas : tous les bols de cacio e pepe dans le nord de l’Italie, les spanakopitas en Grèce, les croque-monsieur dans les Alpes françaises. Enfant, je rêvais de goûter aux délices culinaires de toutes les destinations possibles. À l’adolescence, je me suis mise à imaginer des voyages dictés par mes papilles. Ma carte culinaire m’emmènerait goûter les douceurs de Momofuku Bakery à New York, de la fondue dans les Alpes suisses, et de la paella à Barcelone. Je comptais commencer à voyager dès que j’aurais fini mes études universitaires et que la pandémie se serait calmée.
Depuis mon diagnostic, j’ai voyagé dans 13 pays, dont la Polynésie française, l’Espagne et la Suisse.
Mais, à quelques mois de ce moment tant attendu, j’ai reçu un coup de téléphone qui a chamboulé tous mes plans de voyage. À 21 ans, j’ai appris de la bouche de mon médecin que j’avais la maladie cœliaque. Ma première réaction a été le déni. « Ça doit être une erreur de labo », me disais-je. Certes, je n’allais pas très bien depuis plusieurs mois : j’avais des maux de tête, des éruptions cutanées et une fatigue constante. Mais une maladie auto-immune ? Ça ne pouvait pas être vrai.
Une fois que j’ai accepté la réalité, j’ai découvert que la maladie cœliaque est une maladie auto-immune chronique qui compte plus de 250 symptômes. À l’époque de mon diagnostic, j’étais malade depuis un moment. Les médecins m’ont rassuré.e : je pouvais mener une belle vie, mais il allait falloir que je m’adapte. Principalement, je devais éliminer complètement le gluten, même en infime quantité.
En suivant les conseils des médecins, j’ai fini par aller mieux, même si ça m’a pris presque un an. Les personnes atteintes de la maladie cœliaque ont des niveaux de sensibilité variés, mais dans les cercles médicaux, on s’accorde à dire que pour tou.te.s les cœliaques, toute exposition au gluten supérieure à 20 ppm (soit environ l’équivalent d’une miette de pain grillé) peut causer des dommages intestinaux.
Pour moi, rester en bonne santé passe désormais par un ensemble de protocoles stricts. Pour éviter tout risque, je ne consomme rien contenant du gluten (ni rien fabriqué dans une installation où des produits contenant du gluten sont également préparés), afin d’éviter toute contamination croisée. Je ne mange pas de nourriture préparée sur des surfaces partagées ou avec des ustensiles partagés. Je ne peux pas manger au restaurant, sauf dans ceux qui maîtrisent parfaitement les protocoles contre la contamination croisée. En général, je ne mange pas non plus chez des ami.e.s ou des membres de ma famille si les protocoles anti-contamination croisée ne sont pas en place. Et je vérifie systématiquement mes médicaments, mes produits cosmétiques, mes articles de toilette, ainsi que mes produits pour les cheveux et les soins de la peau pour m’assurer qu’ils ne contiennent pas d’ingrédients à base de gluten avant de les utiliser.
Comme tu peux l’imaginer, la maladie cœliaque peut rendre les tâches du quotidien super intimidantes. Alors, je savais qu’à l’étranger, ça ne ferait qu’empirer. Quand j’ai été diagnostiqué.e, j’ai compris que mes rêves de grandes aventures culinaires comme celles de ma grand-mère étaient terminés. J’avais même peur que mes rêves de voyage en général s’effondrent aussi.
Heureusement, ça n’est pas arrivé. Voyager a toujours été un rêve pour moi, et je suis quelqu’un de résiliente. J’ai réalisé que voyager avec une maladie auto-immune demanderait quelques adaptations, mais que mon diagnostic ne devait pas définir mes rêves. Manger au restaurant en voyage nécessite un certain set de compétences supplémentaires. En général, je cherche des restos 100 % sans gluten, souvent grâce à l’application Find Me Gluten Free ou en faisant des recherches en ligne. Et à ma grande joie, j’ai découvert que beaucoup de plats authentiques peuvent être préparés dans des cuisines sans gluten !
Depuis mon diagnostic, j’ai voyagé dans 13 pays, dont la Polynésie française, l’Espagne et la Suisse. Et j’ai déjà des plans pour visiter cinq autres pays : l’Écosse, l’Australie, la Croatie, l’Islande et la Norvège.
Ce projet n’est pas sans défis. Pour la plupart de mes voyages, je dois emporter mes propres poêles, planches à découper et ustensiles de cuisine. Je fais des recherches approfondies sur les destinations avant de partir. J’ai eu faim dans des aéroports plus de fois que je ne veux compter. J’ai appris à dire "sans gluten" dans une demi-douzaine de langues et j’ai même transporté un mini four-grille-pain à travers une partie de l’Europe pour avoir un outil de cuisine sans contamination croisée. Malgré toutes ces précautions, il m’est arrivé, en voyage, de consommer du gluten accidentellement et d’en payer le prix.
On dit souvent que quand on perd un sens, les autres se développent davantage. C’est un peu comme ça que je ressens le fait de voyager avec la maladie cœliaque. J’ai perdu la possibilité de me connecter aux cultures à travers la nourriture, comme j’en rêvais enfant. Mais à cause de ça, j’ai dû explorer les cultures d’une toute autre façon.
Voyager avec une maladie auto-immune signifie qu’il y a eu des moments où j’ai pleuré les expériences dont je rêvais.
Pendant mes voyages, j’ai eu l’occasion de faire des choses incroyables. J’ai nagé avec des baleines à bosse en Polynésie française, fait du snorkeling avec des requins aux Bahamas, randonné dans les Narrows dans l’Utah, grimpé la route Pico à Pico au Portugal, fait du longboard à Waikiki et sauté des falaises en Espagne. J’ai pagayé dans les canaux d’Amsterdam, exploré un sentier à travers un château au Luxembourg, visité six pays en 36 heures et randonné jusqu’à un pont suspendu à 90 mètres au-dessus d’un glacier en Suisse. Aucune de ces expériences ne tournait autour de la nourriture, comme je l’imaginais enfant, et pourtant elles ont égalé – voire surpassé – mes rêves les plus fous !
Voyager avec une maladie auto-immune signifie qu’il y a eu des moments où j’ai pleuré les expériences dont je rêvais. Passer devant des stands de stroopwafels ou m’asseoir à un resto à Lisbonne en regardant les autres manger leur dîner m’a parfois rendu triste et démoralisée. C’est difficile, frustrant, et parfois vraiment épuisant de naviguer dans un monde qui n’est pas fait pour toi. Mais je trouve ça hyper motivant de continuer à poursuivre mes rêves malgré les obstacles. Développer ma capacité à m’adapter, à me défendre, à trouver des solutions créatives et à changer ma façon de voir les choses m’a transformée en globe-trotteuse autonome et confiante.
Et ça, je ne l’échangerais pour aucune baguette au monde.
Numéro 5