Amitiés passagères

Les hauts et les bas des rencontres de voyage 

21.04.20

« Je déteste les adieux ! » C'est ce que je m'exclame en pleurant alors que je fais un dernier câlin à Kim et Maria lors de ma dernière soirée à Kotor, au Monténégro. Bien que nous nous soyons rencontrées seulement trois jours plus tôt dans notre auberge de jeunesse à Mostar, nous avons développé une réelle amitié, comme si nous nous connaissions depuis des année.  Le fait de voyager seule et de séjourner dans des auberges permet d'établir ce type relations. À ce jour, j'ai dit autant de « goodbye » que de « hello ».

J'aime voyager seule. J'apprécie la liberté de choisir mon itinéraire, la durée des séjours et, surtout, les rencontres. Au cours des cinq dernières années de voyages en solo, j'ai noué des amitiés uniques et sincères avec des personnes du monde entier.

Maintenant que j’ai plus d’expériences, je sais qu'il est assez facile de créer des liens en voyage. J'ai aussi constaté que je rencontre de plus en plus de backpackers qui voyagent seuls. Ce n’est plus perçu comme étant intimidant, mais plutôt comme une occasion de sortir de notre zone de confort et de rencontrer des gens qu'on aurait peut-être pas rencontrés autrement si on voyageait avec des personnes qu'on connaissait déjà. En réalité, l'une des principales raisons pour lesquelles les jeunes sont de plus en plus nombreux à voyager et à séjourner dans des auberges de jeunesse, c'est pour les rencontres et les échanges qu'on y fait. Et c'est l'un des aspects les plus enrichissants de voyager seul. 

Je me souviens très bien de mon premier jour de voyage, à Salzbourg, en Autriche. Même en tant que personne sociale et extravertie, j'étais anxieuse et incertaine à l'idée de rencontrer des gens. Jusqu'alors, je n'avais voyagé qu'en groupe et je ne connaissais pas ce feeling. Est-ce que je dis simplement « allô » ? Est-ce que les gens vont me trouver bizarre ? Est-ce que je vais souper seule ? Mais il y avait beaucoup de gens à mon auberge et j'avais envie de me présenter et parler avec eux.

Friends Season Salzburg

J'avais réservé la visite guidée Sound of Music et j'étais impatiente de voir si quelqu'un de mon auberge y allait aussi. Alors que j'attendais l'autobus, une fille de mon auberge est venue attendre avec moi et dès que j'ai laissé échapper mon nom, elle a fait de même. Rachael et moi avons rapidement réalisé que nous étions tous les deux Canadiennes et nous avons commencé à discuter de ce qui nous avait amenés en Autriche. Pour elle, c'était des vacances de son travail en Allemagne et pour moi, c'était une pause durant mon échange universitaire en Irlande. Avant que je ne m'en rende compte, nous étions assis ensemble dans l’autobus, nous avons ri tout le long de la visite et nous sommes rapidement passés d’inconnues à amies. Plus tard dans la journée, nous avons terminé la tournée dans les jardins de Mirabell où ils ont filmé la séquence « Do-Re-Mi » du film. Nous avons rencontré Jon, un autre backpacker de notre auberge qui voyageait également seul et nous avons tous les trois prévu d'explorer la ville de Salzbourg le lendemain. En parcourant les rues de la vieille ville, je n'arrivais pas à croire que nous nous ne connaissions pas encore la veille, et pourtant, nous avions l'impression d'être de vieux amis. Je trouvais que c’était la chose la plus cool. Rencontrer des gens et créer des amitiés spontanées, c’est tout l’intérêt de voyager seul. 

Alors que j'étais sur le high de ces nouvelles rencontres,  je n’avais pas réalisé qu’il y aurait un moment où il faudrait se dire au revoir, l’inévitable moment où nos routes se séparent. Dire au revoir fait tout autant partie du voyage que d'essayer de rencontrer de nouvelles personnes. Il est difficile de laisser partir un nouvel ami, de ne pas savoir quand on se retrouvera, tout en se demandant si on va rencontrer une nouvelle personne tout aussi géniale. On commence alors à se rendre compte que si les nouvelles amitiés que l'on noue sont profondes et précieuses, elles sont aussi assez éphémères. En fait, la plupart des amis de voyage que je me suis faits ne sont que cela : des amitiés passagères. Je n'ai pas eu beaucoup de contacts avec Rachael ou Jon depuis ce jour, il y a cinq ans. Mais si nous n'avons été amis que pendant un bref instant, le temps que nous avons passé ensemble reste gravé dans ma mémoire. 

Friends Season Lake

Depuis que j'ai commencé à parcourir le monde à plein temps en tant que digital nomad il y a plus d'un an, je ne cesse de rencontrer de nouvelles personnes. Littéralement, en une semaine dans une auberge de jeunesse à Siem Reap, au Cambodge, je me suis fait entre 10 et 15 nouveaux amis. En séjournant dans une chambre de dortoir, en participant à des visites et en lisant dans les pièces communes, j'ai eu de nombreuses occasions de nouer de nouvelles relations. Je me suis liée avec plusieurs autres filles voyageant seules, et nous avions prévu de souper ensemble un soir. Assises autour d'une table, partageant nos assiettes et nos réflexions de voyages, j'ai été inspirée par ces femmes indépendantes et pleines de profondeur. Nous venions toutes de pays différents : Canada, Australie, Japon, Suisse et Vietnam. Toutes se sont ouvertes et ont partagé une même détermination à voyager en solo, malgré leur copain/copine, leur famille, leur travail et les questions des gens à la maison. J'ai été frappée par la grande confiance et l'indépendance de chacune d’entre elle. Quelques jours plus tard, je rencontrais d'autres personnes, partageant des conversations profondes sur les relations, les peurs et le sens du mot "maison" dans la minute qui suivait la rencontre.

Même à l'époque, ma voix intérieure me disait d'apprécier à quel point ces moments étaient spéciaux. Mais c'est comme si le fait de savoir que je ne pourrais jamais les reproduire rendait ces expériences tellement plus extraordinaires. Quand tu voyages seul, tu te retrouves dans un univers peuplés de gens qui viennent des quatre coins du monde. Pendant ces moments, vos vies se croisent pendant un instant, une heure, un jour, quelques semaines - tout cela parce que vous avez décidé de partir explorer le monde en même temps. Bien sûr, vous vous séparerez inévitablement, mais pendant ce moment, vous étiez là ensemble. Il y a un je-ne-sais-quoi de très carpe diem dans tout ça.  

Pendant ces moments, vos vies se croisent pendant un instant, une heure, un jour, quelques semaines - tout cela parce que vous avez tous décidé de partir explorer le monde en même temps. 

À la maison, on ne se fait pas souvent des amis qui sont le fruit du hasard. On recherche des personnes ayant des intérêts communs et on devient amis. Ou bien on décide avec qui l’on veut sortir (ou pas) en se basant sur un mélange de critères préétablis, d'intérêts communs, d'objectifs partagés, de sentiments et d'attirance physique. En voyage, la plupart de ces éléments n’importent plus et on se lie aux gens, parfois profondément, simplement parce qu’on est là et qu'ils sont là et que quelqu'un a brisé la glace. Et même si cela se fait au prix de tristes adieux et d'amitiés interrompues, le fait que cela se soit produit crée en nous quelque chose qui reste pour toujours.

Aujourd'hui, on échange facilement nos comptes Instagram afin de rester en contact, mais vu le nombre de contacts qu’on se fait, il est très difficile de garder le contact avec tous ceux qu’on a rencontré. Jusqu'à présent, durant ma vie de digital nomad, je me suis fait plus de 100 nouvelles connexions. C’est déjà assez difficile de trouver le temps pour appel par Skype entre deux fuseaux horaires. Les conversations sur Facebook Messenger peuvent seulement durer un certain temps. Mais, après des années de voyage, j'ai pu constater que parfois, dire au revoir signifie en fait se revoir plus tard.

Friends Season Sunset Picnic

Pendant mon séjour à Siem Reap, je me suis immédiatement liée d’amitié avec deux voyageurs japonais. J'ai rencontré Hiro dans mon dortoir et Yuka dans la pièce commune. Quelques secondes après les avoir rencontrés, j'ai ressenti un drôle de sentiment - comme si je les connaissais déjà. D'inconnus à amis en moins de 24 heures : un résumé précis des amis de voyage. Les rencontrer m'a incité à ajuster mon itinéraire et je me suis retrouvée au Japon quelques mois plus tard. Yuka et sa famille m'ont rapidement accueilli dans leur maison à l'extérieur de Tokyo, où je suis restée pendant plus d'une semaine. Entourée de délicieux mets japonais, d'une amie incroyable et d'une famille nouvellement découverte à l'autre bout du monde, une immense gratitude s'est emparée de moi. Grâce à eux, j’ai vécu des moments incomparables au Japon. Et dire que cet accueil chaleureux et cette expérience unique ont été rendues possibles à cause que nous avions séjourné dans la même auberge au Cambodge le même jour, trois mois plus tôt. Et cela ne serait certainement pas arrivé si je n'avais pas fait preuve d’ouverture d’esprit et de réceptivité.

Ces relations peuvent être passagères, mais elles n’en demeurent pas moins marquantes et profondes.

Face à toutes ces nouvelles rencontres, il est facile de se sentir réticent à toujours socialiser et répéter les mêmes conversations. D'ailleurs, comment quelqu'un ou quelque chose pourrait-il se comparer à ces personnes incroyables et aux souvenirs que j'ai faits au Cambodge ? Pourquoi devrais-je continuer à essayer de rencontrer de nouvelles personnes alors que je sais que nous devrons éventuellement nous séparer à nouveau ? J'aimerais parfois pouvoir rassembler en un seul endroit toutes les amitiés que j'ai nouées au cours de mes voyages.

Parfois, ce qu’on ne sait pas ne fait pas de mal. Il y aura toujours des adieux, mais cela ne m'empêche pas de vouloir sortir, explorer le monde et rencontrer des personnes inspirantes provenant de partout à travers la planète. Dans le voyage, j’ai trouvé une source d’humanité et d’amour, qui dépassent les frontières, l’âge, les religions, les cultures et les sexes - et c'est pour ça que je n’ai pas l’intention d’arrêter. 

Ces relations peuvent être passagères, mais elles n’en demeurent pas moins marquantes et profondes. Chaque relation est intrinsèquement spéciale à sa manière - et même si tu ne sais pas vous vous reverrez un jour - tu peux être certain que les souvenirs dureront. Puis, il est toujours possible que vous vous retrouviez et que vous vous rencontriez ailleurs dans le monde. Malgré ces incertitudes, je m'efforce toujours de rester ouverte à de nouvelles connexions.

Rencontrer des gens est vraiment l'aspect le plus extraordinaire de voyager seul. Ces nouvelles amitiés, qu’elles soient pour une vie ou passagères, valent toujours les hauts et les bas des « goodbye » et des « hello ».  Ma vie est tellement plus riche en ayant connu ces gens incroyables qu'en ne les ayant pas connus du tout.

Cet article fait partie du
Numéro 5

Récits de voyage