À vélo le long du chemin de fer Kettle Valley
J’ai quelques souvenirs d’enfance où je me promenais à vélo dans le voisinage, mais je peux pas dire que c’était une habitude. J’étais plutôt du genre à marcher et je n’étais pas très sportive. Le cyclisme n’a fait partie de ma vie qu’à partir de la trentaine, lorsque j’ai commencé à sortir avec un gars qui adorait ça. Ça avait l’air le fun et ça semblait être un excellent moyen de transport. Je me suis donc mise à chercher un vélo qui me conviendrait, physiquement et économiquement. Pas facile quand tu mesures 5 pi 2 pis que t’as des petites jambes. Après un an de recherches, j’ai finalement arrêté mon choix sur un Del Sol Campus II.
Pendant les premiers mois, j’étais assez anxieuse. Je n’avais pas fait de vélo depuis au moins 15 ans. Même en vivant à Vancouver, une ville très conviviale pour les cyclistes, je m’en tenais aux rues secondaires et aux sentiers en attendant de savoir changer de vitesse, me promener aisément ou signaler mes virages sans m’arrêter. Quand il était question de pédaler en groupe, ce n’était pas tellement les autos ou le trafic qui m'effrayait, mais plutôt de ne pas pouvoir suivre la cadence.
Tranquillement pas vite, ma peur s’est estompée. J’ai fini par comprendre que c’était pas la fin du monde si je marchais à côté de mon vélo jusqu’en haut d’une côte. Un ami m’avait parlé d’un voyage de vélo qu’il avait fait à travers l’Okanagan, à quelques heures de Vancouver. Ça avait l’air vraiment beau et excitant. Ça m’a donné le goût de partir moi aussi, mais je n’étais pas certaine d’avoir ce qu’il fallait pour me traîner avec un équipement de camping complet du point A au point B. Puis, j’ai su que le sentier suivait un ancien chemin de fer et qu’il était donc plat. C’est tout ce que ça prenait pour que je commence à planifier une aventure de trois jours avec mon chum.
S’étendant sur près de 650 km, de Hope à Castlegar, le réseau de sentiers du chemin de fer Kettle Valley est le plus long en Colombie-Britannique. Comme on n’avait qu’une fin de semaine de trois jours, on a choisi le tronçon entre Arlington Lake et Penticton.
On s’est levés ridiculement tôt et on a fait cinq heures de route jusqu’à Penticton, où HI Pencticton est situé, pour rencontrer Dave, un gars qu’on avait trouvé sur Internet et qui offrait un service de navette sur le sentier. Il devait charger nos vélos dans son camion et nous amener à notre point de départ. Notre plan était de pédaler pendant trois jours pour revenir à notre auto. En roulant à travers Kelowna, il nous a parlé de la vie dans la région et de ses expéditions de vélo avant de prendre la direction des montagnes. On a monté et monté jusqu’à arriver à un terrain de camping accidenté perdu au milieu de nulle part. La pluie s’est mise à tomber pendant qu’on débarquait nos vélos et nos quatre sacs remplis d’équipement. Dave nous a souhaité bonne chance et a repris la route en nous saluant d’un geste de la main. Au fur et à mesure que le ciel s’assombrissait et que la pluie tombait, le sentiment d’être seuls en forêt m’a frappée. Comme la fin de la journée approchait, on est partis malgré la pluie.
Je n’avais pas prévu de vêtements pour la pluie (qui ne semblait d’ailleurs pas près de s’arrêter), mais j’étais plus heureuse que jamais. Moins de cinq minutes après notre départ, on est arrivés nez à nez avec un petit troupeau de vaches. Je m’attendais à ce qu’il pleuve, à pédaler sur un sentier difficile, mais je n’avais jamais pensé qu’une famille de vaches nous bloquerait le chemin. Je riais tellement que j’avais de la misère à pédaler. La pluie ne semblait pas du tout les déranger. Ça commençait bien notre aventure. Hésitants, on les a tranquillement dépassées avant de reprendre une bonne vitesse. Même si le sentier était plat, il était assez technique. Il y avait des racines et des branches de part et d’autre. Le sol était cahoteux, mouillé et accidenté. Il n’y avait peut-être pas de côtes, mais je devais rester concentrée sur la route et je sentais mes jambes travailler pour avancer dans le sable et la boue.
J’avais froid, faim et j’étais trempée jusqu’aux os, mais je venais de parcourir 25 km de vélo et j’étais vraiment fière de moi.
La pluie a finalement ralenti en arrivant à Hydraulic Lake, notre premier campement. Impossible de cacher le sourire sur mon visage dégoulinant. J’avais froid, faim et j’étais trempée jusqu’aux os, mais je venais de parcourir 25 km de vélo sur un sentier plein de nids de poule et j’étais vraiment fière de moi. Par précaution, on avait emprunté un petit filtre à eau UV, mais on a été agréablement surpris de découvrir que le camping offrait de l’eau et du bois aux cyclistes qui s’arrêtaient pour la nuit. On s’est dépêchés de monter la tente, on a fait un feu, on a mangé notre bouffe préemballée et on a passé quelques heures à faire sécher nos vêtements mouillés.
Le lendemain matin, il faisait beau et j’étais plus que prête pour le deuxième jour. On a avalé notre gruau, on a bu notre café et on est partis. C’était une journée ensoleillée, mais la majorité du sentier était ombragé par de grands arbres. On a pédalé tranquillement, la plupart du temps en silence, pour mieux apprécier la forêt et se concentrer sur la route pleine de sillons et de trous. Dans un chemin aussi technique, j’ai réalisé qu’une conduite hésitante risquait de me faire déraper. J’ai donc pris confiance et, retenant ma respiration, je me suis mise à pédaler avec plus d’ardeur. La vitesse était ma nouvelle meilleure amie.
On avait vu quelques roulottes la veille au camping, mais ce n’est qu’en approchant de Canyon Myra qu’on a croisé d’autres cyclistes. Faisable en une journée, c’est le tronçon le plus populaire du sentier avec ses ponts sur chevalets et ses tunnels. Ce qu’il y a d’intéressant à Myra, c’est qu’en traversant les différents ponts, dont plusieurs ont brûlé en 2004, on peut facilement voir les traces du chemin de fer, des incendies et de la reconstruction.
Le deuxième soir, on s’est arrêtés dans un camping gratuit tout près de Chute Lake Lodge, où on a englouti une bière et des frites après avoir monté la tente. L’endroit est figé dans les années 70 avec ses fauteuils en cuirette orange, ses photos jaunies et des bouteilles de bière de toutes les décennies. Pour moi, Chute Lake Lodge était parfait. Trop fatigués pour jouer au billard, on s’est assis près de la fenêtre, en transe devant les couleurs d’automne envahissant de plus en plus les arbres au bord du lac. Cette journée m’avait démontrée que j’avais de l’endurance. De retour au camping, on a ajouté un peu d’eau à des pâtes déshydratées avant de bien cacher notre nourriture dans un arbre, à l’abri des ours.
Mon sourire était toujours au rendez-vous quand je me suis levée la troisième journée. J’ai regardé le chalet une dernière fois en donnant les premiers coups de pédale et en m’imaginant mener une autre vie, celle de propriétaire d’auberge. Dans les environs de la station d’Adra, on peut encore voir de vieux fours en pierre, initialement établis pendant la construction du chemin de fer. Sur une plaque, on peut lire qu’ils ont été fondés pour offrir du pain frais aux travailleurs en guise d’encouragements.
Les arbres s’ouvraient sur des vignobles et on pouvait voir des vineries un peu partout. J’avais l’impression d'être en Italie.
Plus loin, le sentier a commencé à s’adoucir jusqu’à arriver à une section pavée juste assez dénivelée pour ne pas avoir à pédaler. Les arbres s’ouvraient sur des vignobles et on pouvait voir des vineries un peu partout. J’avais l’impression d'être en Italie. Puis, à notre gauche, un énorme panneau à la Hollywood annonçait Penticton.
Par le temps d’arriver à l’auto, je me voyais autrement. Notre randonnée de trois jours n’était pas l’exploit du siècle, mais ça m’avait fait sortir juste assez de ma zone de confort. J’avais compris que je n’avais aucune raison de me croire incapable de m’embarquer pour une aventure de plein air.