Voyager m’a appris à dompter la solitude
J’avais toujours pensé qu’être seul, c’était pour les losers. Fille de ville dans la fin vingtaine, je croyais dur comme fer que je devais constamment être vue en train de faire des activités cool avec du monde cool. Aller au ciné toute seule, c’était pas pour moi. J’avais déjà assez de misère à rentrer chez moi sans frénétiquement appeler ou texter quelqu’un pour faire des plans qui prouveraient que, MOI AUSSI, j’avais des amis.
Par une journée froide et humide de novembre, constatant que mes 27 ans arrivaient un peu trop vite à mon goût, j’ai su que c’était maintenant ou jamais. Je vieillissais et Instagram me rappelait sans arrêt que je devais « profiter de la vie » pendant que c’était encore possible. Insta n’avait pas tort, j’avais des choses à voir! J’étais prête à laisser ma vie urbaine derrière pour réaliser mon rêve : écrire un roman. Sans savoir dire un mot dans une autre langue, sans connaître grand-chose sur le monde, j’ai décidé que je partirais en Nouvelle-Zélande. Trois mois plus tard, j’ai quitté ma job en production vidéo, j’ai fait mon sac et j’ai levé les voiles.
Quand je suis descendue de l’avion, j’ai constaté trois choses : il faisait chaud, je n’avais aucune idée quoi faire de moi-même et, étonnamment, j’étais absolument seule au monde.
J’avais jamais été aussi seule et, selon mes critères, ça faisait de moi une loser. Pourquoi n’avais-je donc pas pensé à ça plus tôt?
En élaborant mon voyage solo, jamais je n’avais pensé à ce détail. Je pensais que je rencontrerais des gens, que je ferais plein de trucs avec eux et que je triperais. C’est aussi ce que tout le monde me répétait. « C’est facile, tu rencontres plein de monde », qu’ils disaient quand je leur demandais comment s’était passé leur voyage solo en Asie, en Australie ou en Europe.
Mais personne ne m’a parlé. 24 heures ont passé, puis 48 heures. Tsé, le moment où t’arrives dans un nouveau pays après avoir planifié ton voyage pendant des semaines, des mois ou des années et que, soudainement, tu sais pas quoi faire de toi-même. C’était ce que je ressentais à ce moment-là.
Les 72 premières heures ont été difficiles. J’ai passé mes journées à marcher à travers Auckland et mes soirées à boire de la bière dans le salon de l’auberge, en attendant que quelque chose arrive ou que quelqu’un me parle. Je me forçais à me lever tôt pour profiter de la journée, mais je me rendais vite compte que j’avais pas grand-chose à faire à part être toute seule. Je déjeunais seule, je buvais mon café seule et je commençais à planifier les prochains mois de ma vie… Encore et toujours seule.
Mes amis me demandaient : « Comment tu trouves ça? C’est quoi ton plan? »
Et je répondais : « Je travaille là-dessus! C’est vraiment beau ici! »
Mais ma vie ressemblait plutôt à ça :
Les trois premiers jours, j’ai mangé des frites à 16 h. C’est un peu gênant à avouer, mais ça me donnait quelque chose à prévoir, quelque part où aller. J’avais quelque chose à faire avant même de savoir ce que j’allais faire de ma journée. Étrangement, ça me dérangeait pas de manger toute seule. J’étais en voyage. Les voyageurs ont le droit de manger seuls. Les règles sont différentes. Ok, t'as peut-être le droit de bouffer tout seul, mais ça change pas le fait que t’es tout seul.
Même si je publiais des photos de beaux paysages et que je prétendais vivre toute une aventure, la solitude me pesait plus que jamais.
J’ai fait une excursion en autobus à la baie des Îles dans l’espoir de rencontrer des gens. C’était magnifique, il faisait chaud et l’eau bleue s’étendait à perte de vue. J’ai reconnu Lauren, une fille que j’avais croisée quelques jours avant dans une auberge de l’île de Waiheke. On a passé l’après-midi à boire de la bière trop chère et à refaire le monde. C’était correct. Je ne sentais pas une super connexion avec elle et elle voyageait avec un ami (qui dormait pour faire passer son lendemain de veille). Elle avait donc pas besoin de moi comme moi j’avais besoin d’elle et ça me rappelait davantage à quel point j’étais seule. Tout le monde autour de moi avait l’air bien accompagné et ceux qui ne l’étaient pas n’avaient pas l’air de s’en faire autant que moi.
Tout le monde autour de moi avait l’air bien accompagné et ceux qui ne l’étaient pas n’avaient pas l’air de s’en faire autant que moi.
Au fil des mois, le sentiment de nouveauté et de peur s’est tranquillement dissipé. J’ai commencé à me faire des amis, comme je l’avais imaginé. Je savais où je m’en allais. J’avais ouvert un compte de banque et j’avais trouvé mon café préféré. Je me sentais à l’aise. Je ne ressentais plus le besoin de rencontrer des gens et, comme par magie, c’était de plus en plus facile de faire des rencontres… à l’auberge, au café, au camping. J’ai pris la route et j’ai fait de la randonnée avec du monde que j’aimais. J’ai aussi fait tout ça avec du monde que j’aimais moins. J’ai dormi dans des dortoirs sales avec des gens qui se donnaient de l’amour dans le lit d’à côté, puis dans des auberges chaleureuses où j’ai passé des heures à jaser de livres et de la vie avec des gens que je rencontrais dans la cuisine puis je me sentais normale à nouveau. Je me suis fait de vrais amis et d’autres qui ont bien servi. Après trois mois qui m’ont paru aussi courts que longs, tannée de toujours bouger et inquiète de mon compte en banque qui fondait comme neige au soleil, j’ai décidé de m’installer pour de bon.
J’ai élu domicile pour trois mois dans une belle auberge à Taupo. Je travaillais dans un café pendant la journée et je nettoyais la cuisine de l’auberge en soirée en échange d’un lit. À force de jasettes entre les coups d’éponge, j’ai compris ce que les autres faisaient ici… Et par le fait même, ce que moi, je faisais ici.
Certains étaient un peu comme moi : ça faisait des mois qu’ils étaient arrivés. D’autres ne s’arrêtaient que pour la nuit, heureux de pouvoir se laver, cuisiner et dormir ailleurs que dans leur van. Il y avait des étudiants en congé. Il y avait de vrais adultes, avec de vraies familles, qui avaient pris deux semaines de vacances pour venir apprendre à surfer. On était tous arrivés seuls à Taupo d’une façon ou d’une autre et nos vies s’entrecroisaient pour un moment. Des fois, on avait des conversations vraiment profondes pendant que je passais le balai. On parlait de qui on rêvait d’être, de ce qu’on attendait de la vie. D’autres fois, ça s’arrêtait à Candy Crush.
Les sujets et les visages changeaient, mais une chose restait : chaque soir, dans la cuisine de l’auberge, il y avait un nouveau groupe de voyageurs seuls, mais ensemble. Maintenant que j’étais à l’aise avec moi-même et mon expérience, je me rendais compte que c’était comme ça depuis le début. Je n’avais jamais été vraiment seule. En fait, tout le monde l’était un peu et tout le monde le vivait à sa façon. C’est la beauté de voyager; faire partie d’une grande communauté de personnes seules, mais ensemble. On fait notre chemin autour du globe, passant d’une auberge à l’autre, on se croise pendant un instant, puis on repart ou on rentre. De nouveaux voyageurs arrivent, puis repartent. L’histoire se répète.
On a tous déjà senti et contemplé la même envie de partir et, en fin de compte, on se fout bien de la raison qui nous a poussés à le faire. Qu’on parte pour réaliser un rêve et écrire un roman ou pour profiter d’un billet pas cher… est-ce que ça importe vraiment? L’important, c’est de se faire assez confiance pour se lancer et, la plupart du temps, on réalise qu’on avait bien raison de le faire.
J’ai passé ma dernière journée en Nouvelle-Zélande à attendre mon vol à l’aéroport. Mes larmes ne s’arrêtaient plus de couler en sachant que c’était fini. Je retournais à ma vie normale. J’étais assise, toute seule, et je me sentais plus vivante, aimée et sûre de moi que jamais. J’avais réussi. J’avais oublié mes vestons et mes p’tits cafés à 12 $. J’étais passée de la fille soucieuse de son apparence à la fille libre d’être elle-même entourée de gens terre à terre. On était tellement loin de notre zone de confort, de notre routine. Personne n’essayait d’impressionner personne. Tout le monde cherchait la même chose : être à l’aise, libre et heureux. Quand tout ce que t’as, c’est du temps pour jaser et un sac à dos, c’est soudainement plus facile d’y arriver.
Puis, je suis rentrée à la maison.
Tout le monde cherchait la même chose : être à l’aise, libre et heureux.
Un bon samedi matin ensoleillé, quelques semaines après mon retour à Toronto, l’envie m’a pris d’aller bruncher. Fidèle à mes anciennes habitudes de fille urbaine, j’ai attrapé mon cell et j’ai invité quelques amis à me joindre.
« Je sais que je suis dernière minute, mais un brunch, ça te tente? »
J’ai lavé la vaisselle en attendant que mes amis me répondent. Je me suis épilé les sourcils. Rien. Personne avait l’air d’avoir envie d’œufs béné. Je fixais mon téléphone en espérant l’entendre vibrer, en espérant que quelqu’un, n’importe qui, soit libre en ce moment même. Silence. Et puis tant pis.
Je suis allée bruncher seule. À Toronto. Là où on devrait m’apercevoir avoir du fun avec du monde cool en tout temps. J’aurais pu rester chez moi à manger des toasts plates, mais non. J’avais deux bonnes raisons de sortir. Un, je venais tout juste de revenir d’un trip en solo ultra enrichissant et je ne pouvais pas déjà tout oublier. Deux, une fois que l’envie te prend de manger des œufs béné, ça aussi, c’est dur à oublier.
Je ne sais pas pourquoi, mais on distingue souvent la vie en voyage de la vraie vie. Dans le fond, la ligne qui les sépare est peut-être plus floue qu’on le pense. Peut-être que de saisir son indépendance et de partir à la conquête du monde (que ça soit en allant seul au resto ou en passant par-dessus ta dernière rupture), c’est ça, apprendre à se connaître. Peut-être que c’est de comprendre qu’être seul veut pas dire être loser. Peut-être que ça veut juste dire qu’on est assez à l’aise avec nous-mêmes pour passer du temps en solitaire. C’est pas rien.
J’ai replacé ma chemise, je me suis attaché les cheveux et j’ai jeté un coup d'oeil à mon téléphone une dernière fois. Je me suis regardée dans le miroir, un peu triste. Mon estomac s’est mis à crier et je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. J’ai pris un livre et je suis sortie.
Je me suis rendue au resto à vélo. J’entendais mon cœur battre dans mes oreilles. J’avais de la misère à attacher le cadenas au poteau tellement mes mains tremblaient. J’aimerais dire que j’exagère, mais non. J’étais vraiment nerveuse.
Je suis entrée.
L’hôte a sorti deux menus et m’a demandé : « C’est pour combien? »
« Juste moi. »
J’ai essayé d’avoir un ton sûr, mais j’ai plutôt fait semblant de tousser en parlant. J’ÉTAIS TELLEMENT GÊNÉE DE DIRE TOUT HAUT QUE JE SORTAIS MANGER SEULE. Je n’étais plus en voyage, j’étais redevenue une vraie fille de la ville. Les règles avaient changé.
L’hôte a souri et m’a donné une table dans le jardin.
C’est tout. Rien d’autre n’est arrivé.
Absolument rien.
Je me suis assise, comme n’importe qui d’autre. J’ai commandé un déjeuner que j’ai mangé avec un couteau et une fourchette. J’ai siroté mon café entre chaque bouchée. J’ai écouté les conversations autour de moi. C’était pas mal satisfaisant.
Quand j’ai eu fini de manger, j’ai fait signe au serveur et il m’a apporté la facture. J’ai payé et je suis partie.
Rien de plus normal. Tellement normal que je me suis rendu compte que le fait de voyager m’avait peut-être vraiment changé. Je suis pas rentrée chez moi en ayant écrit un livre ou en sachant ce que j’allais faire de ma vie. J’ai pas trouvé les réponses à toutes les questions existentielles de la vie. J’ai pas appris à être ni à penser comme-ci ou comme ça. Mais j’ai appris à vivre avec moi-même.
La prochaine fois que quelqu’un me demandera ce que j’ai appris en voyage, je pourrai certainement répondre que j’ai appris à me connaître. Apparemment, ça m’aura pris des heures de solitude à l’autre bout du monde pour y arriver.
Numéro 5