Suis-je trop âgée pour les auberges de jeunesse?

02.11.21

Ce jour-là, dès mon réveil dans mon confortable lit d'une auberge de Copenhague, j'ai senti que ce serait une journée parfaite. Le ciel nuageux des journées précédentes avait disparu, et un soleil chaud entrait par la fenêtre. «Bonjour», m'a salué ma colocataire espagnole depuis le lit d'en face, en nouant les lacets de ses souliers fuchsia. Puis en deux temps, trois mouvements, elle était partie. J'ai étiré mes bras et baillé paresseusement avant de me lever. Seule dans le dortoir, je me suis approchée du miroir ovale sur le mur et j'ai commencé à attacher mes cheveux. C'est alors que je l'ai aperçu. Une mèche blanche argentée, brillante comme le soleil, qui se démarquait de ma masse de boucles brunes. Avant que je puisse pleinement réaliser son existence, j'en avais repéré une autre qui dépassait de mes oreilles. En regardant de plus près, après avoir placer mes cheveux frénétiquement de l'autre côté, j'ai trouvé un tas de cheveux gris qui me regardaient sournoisement.

J'avais 32 ans, et je m'attendais à les voir apparaître, peut-être, dans quelques années. Pourtant, en ce parfait matin d'été à Copenhague, ils étaient déjà là, sans prévenir. Tu imagines !? Mes toutes premières mèches de cheveux gris ! L'ironie de les découvrir alors que je logeais dans une auberge de jeunesse ne m'a pas échappé. En fait, j'ai passé le reste de la journée à réfléchir sérieusement à la question suivante : «Suis-je trop vieille pour les auberges ?».

Nous savons tous que les photos de voyages sur les médias et les réseaux sociaux affectent nos attentes quand on se rend à destination. Si la réalité ne ressemble pas à ce qu'Instagram nous a montré, on se dit qu'on fait mal les choses.

En particulier, l'idée que les auberges sont destinées aux jeunes voyageurs en sac à dos qui aiment faire la fête, donne une certaine étiquette de «loser» aux voyageurs plus âgés qui seraient susceptibles de demander à ce que le bruit soit réduit et que les lumières soient éteintes à 22 heures. À 32 ans, j'étais souvent la personne la plus âgée de mon dortoir. Étais-je une loser ?

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L'image que la plupart des gens se font d'un backpacker n'est pas celle d'une femme cinquantenaire 

Quand tu penses à un backpacker, quelle est la première image qui te vient à l'esprit ? Quelle ethnicité, quel âge et quel genre visualises-tu ? Réfléchir à ces détails et se demander pourquoi ils nous viennent à l'esprit révèle nos préjugés et les étiquettes que nous utilisons pour donner du sens à notre monde, même s'ils ne sont pas intentionnels.

Je suis prête à parier que l'image que la plupart des gens se font d'un backpacker n'est pas celle d'une femme cinquantenaire pratiquant l'escalade, à la crinière grise ondulée, attachée en queue de cheval. Quand on pense à un backpacker, il est peu probable qu'on pense aussi à un homme aux cheveux blancs et à la peau ridée, sac bien attaché à son dos. De même, la plupart des gens associent les auberges aux jeunes voyageurs, et non aux familles ou aux retraités.

Je suppose que j'étais aussi coupable de ces préjugés, sauf que je portais ces jugements sur moi-même. J'ai commencé à prendre délibérément note des voyageurs que je rencontrais, qui ne correspondaient pas au stéréotype des backpackers.

Lors d'un tour guidé à Barcelone, j'ai observé avec agacement le guide touristique, âgé d'une vingtaine d'années, ignorer complètement une femme de 45 ans. C'était la seule personne du groupe qui n'avait pas la vingtaine et elle avait un tas de questions sur les fromages, les olives et autres produits du marché alimentaire, mais elle a du tout faire pour rattraper le guide alors qu'il ne lui prêtait aucune attention, engageant plutôt des conversations légères avec les autres visiteurs

Est-ce le genre de traitement auquel je dois m'attendre lorsque mes cheveux gris deviendront plus évidents ? En tant que femme d'une trentaine d'années qui voyage en solo, j'ai appris que les gens adorent me donner des conseils non sollicités, faire des suppositions (incorrectes) sur ma forme physique ou mon sens du voyage, ou pire, lors de voyages en groupe avec d'autres jeunes voyageurs, faire comme si je n'étais pas là. Je me demande si ma confiance en moi et mon impassibilité, dans des lieux où je ne fais pas partie de la majorité des voyageurs de 20 ans, sont déroutantes ou déconcertantes pour certaines personnes.

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Je n'ai jamais vraiment été le stéréotype d'une backpacker. Lorsque j'ai commencé à rester dans des auberges dans ma vingtaine, on m'a souvent demandée si j'aimais les partys et la tournée des pubs. Les gens pensaient que, puisque je restais dans des auberges, je devais être une extravertie qui aimait sortir tous les soirs, alors qu'en fait, j'ai toujours été une introvertie et je n'ai pas fait une seule tournée des bars pendant toutes mes années en auberges de jeunesse. J'avais souvent des colocataires, eux aussi âgés de 20 ans, qui, comme moi, préféraient se blottir au lit avec un livre plutôt que de sortir dans les bars.

Ma préférence pour une soirée tranquille ou pour prendre un verre dans un bar d'auberge plutôt qu'une nuit dans un club n'a pas évolué avec l'âge ; c'est toujours ce que j'aime le plus. En acceptant ça très tôt, je n'ai jamais eu l'impression de passer à côté de quelque chose.

Lorsqu'on connecte avec quelqu'un via des intérêts communs, la différence d'âge, si elle existe, n'a plus d'importance.

Lorsque je travaillais à distance en Suède, j'ai séjourné dans une charmante auberge à Stockholm pendant trois semaines. Il y avait une magnifique roseraie pour travailler, deux cuisines où je pouvais préparer mes repas, et des dortoirs pour femmes, ce qui était une priorité pour moi. Lors de ma troisième soirée dans un dortoir de quatre lits, Karin est entrée avec un sac à dos de la taille d'un sac à main. Elle m'a saluée avec un grand sourire et des yeux aimables sous une frange grise.

Probablement âgée d'une soixantaine d'années, Karin venait d'arriver de Göteborg pour passer quelques jours avec ses petits-enfants à Stockholm, avant de s'envoler pour l'Italie. Comme de nombreuses fois auparavant, elle avait choisi de séjourner dans cette auberge pour les mêmes raisons que celles qui m'avaient fait tomber amoureuse de celle-ci: un emplacement idéal, de nombreux espaces communs, deux cuisines et un jardin.

Nous avons été colocataires toute la semaine suivante, préparant souvent nos repas ensemble dans la cuisine, tandis qu'elle me conseillait  dans l'archipel de Stockholm. Elle était experte dans l'art de voyager léger et donnait des conseils de voyage astucieux. Partager un dortoir avec Karin n'était pas différent que de le partager avec quelqu'un de mon âge, ou plus jeune. J'ai apprécié sa compagnie et j'ai réalisé que lorsqu'on connecte avec quelqu'un via des intérêts communs, la différence d'âge, si elle existe, n'a plus d'importance.

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La société adore brandir l'âge comme une épée au-dessus de nos têtes. Il y a toute une panoplie de choses que l'on est censé avoir à un certain âge - un conjoint, des enfants, sa propre maison, un emploi bien rémunéré, des investissements, et la liste semble interminable. Notre estime de soi peut facilement commencer à dépendre de la liste interminable de ces réalisations idéales, peu importe que ces choses nous rendent heureux ou non.

On nous dit aussi qu'il y a tout un tas de trucs que l'on n'est plus censé faire après avoir atteint un certain âge. Ne pas porter de couleurs trop vives ou trop attrayantes ou de motifs trop audacieux (une croyance largement répandue dans de nombreuses familles indiennes). Ne pas avoir des cheveux trop longs (personne ne veut voir les tons de gris) ou trop courts (ça vieillit). Ne pas rester pas dans des auberges (ça te donne l'air bizarre ou solitaire). Pourtant, si tes préférences et tes intérêts ne changent pas avec l'âge, pourquoi tes choix personnels devraient-ils changer ?

Je suis mariée depuis plus de sept ans, et je continue à voyager en solo et à séjourner dans des auberges, simplement parce que j'aime ça. «Tu ne te sens pas mal à l'aise dans les auberges ?» «Ça ne dérange pas ton mari ?» et «Comment se fait-il que tu veuilles séjourner dans des auberges alors que tu es mariée et que tu as 34 ans ?» sont le genre de questions que me posent mes amis et les étrangers, comme si les auberges étaient uniquement destinées aux jeunes gens qui cherchent à trouver l'amour. J'ai le sentiment qu'il y a un énorme décalage entre la façon dont les gens me voient en tant que femme mariée de 34 ans et la façon dont je continue à me voir.

Il m'est difficile d'expliquer que je suis toujours la même personne qui a commencé à voyager au milieu de la vingtaine et qui aimait les auberges, et que mon âge et mon statut marital n'ont rien changé à la façon dont je me vois ou aux raisons pour lesquelles j'aime les auberges. Et ils n'ont certainement pas donné à mon mari le sentiment d'être propriétaire de moi ou l'ont incité à changer qui je suis, juste pour répondre aux attentes de la société.

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Je dois avouer que lorsque j'ai commencé à voyager à 24 ans, j'avais un budget limité. Les auberges étaient (heureusement) une option d'hébergement abordable qui me permettait de voir le monde. Très vite, j'ai commencé à les aimer bien au-delà de ça.

Dans les meilleures auberges, j'ai trouvé un sentiment d'appartenance à une communauté, j'ai rencontré des personnes inspirantes, j'ai eu des conversations inattendues, je me suis sentie en sécurité, j'ai été prise en charge et je me suis sentie chez moi tout en travaillant à distance. Aujourd'hui, je choisis souvent une chambre privée dans une auberge plutôt qu'un appartement ou une chambre d'hôtel, même si le prix est similaire.

Bien que j'aime voyager seule, le fait de séjourner dans des auberges me permet de ne jamais me sentir seule, même si je passe des semaines ou des mois sur la route. Pour les introvertis comme moi, la frontière est très mince entre apprécier la compagnie d'autres personnes et se sentir complètement vidé d'énergie par trop de conversations. Les auberges offrent l'équilibre parfait. Quand j'ai envie de compagnie, je la trouve facilement, que ce soit autour d'une bouteille de vin avec un ami de voyage au bar de l'auberge ou en préparant des spaghettis bolognaise dans la cuisine. Lorsque j'ai besoin d'être seule pour me ressourcer, je peux me retirer dans ma chambre ou dans un endroit tranquille.

Ensuite, il y a les aspects pratiques des auberges, comme l'accès aux cuisines et aux machines à laver, qui conviennent aux voyageurs solitaires comme moi, quel que soit notre âge. Lorsque je pars pour un long voyage, la nouveauté de manger à l'extérieur s'estompe au bout d'une semaine et les factures de repas et de linge s'accumulent rapidement. Dans des villes chères comme Milan, j'ai réalisé que je ne pourrais pas respecter mon budget de voyage si je mangeais au restaurant tous les jours. J'étais donc reconnaissante de pouvoir préparer le dîner dans la cuisine de l'auberge et de faire mon lavage à un prix raisonnable.

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C'est dans les pays nordiques que j'ai rencontré pour la première fois des familles séjournant dans des auberges - une expérience qui m'a fait comprendre que personne n'est jamais trop vieux pour y séjourner. En voyageant en Suède et en Islande, j'ai appris qu'il était normal pour les familles locales et même pour les voyageurs de plus de 40 ans, en provenance d'autres villes, de rester en auberge de jeunesse.

Dans les meilleures auberges, j'ai trouvé un sentiment d'appartenance à une communauté, j'ai rencontré des personnes inspirantes, j'ai eu des conversations inattendues, je me suis sentie en sécurité, j'ai été prise en charge et je me suis sentie chez moi

À Copenhague, j'ai partagé mon dortoir avec Katie et Eva, un duo mère-fille plein de vie, en visite des Pays-Bas. Au cours d'un repas avec elles dans la salle à manger de l'auberge, Katie, 30 ans, et sa mère Eva, 55 ans, m'ont dit qu'elles voyageaient ensemble, deux ans après le divorce d'Eva. Elle avait toujours voulu voyager quand elle était plus jeune, mais la vie l'en empêchait. Elles avaient décidé de faire ce voyage ensemble pour encourager Eva à voyager plus souvent pendant cette nouvelle phase de sa vie.

Dans une auberge de Mestia, une ville de montagne de la région de Svaneti en Géorgie, j'ai rencontré Sarah, une mère célibataire de 35 ans qui voyageait avec son fils Isaac, âgé de 2 ans, qui a rapidement gagné l'affection de tous les autres clients. Bien installé dans un porte-bébé attaché à son dos, elle m'a confié : «Les gens m'ont toujours dit que je ne pourrais jamais partir en randonnée une fois que je l'aurais eu. Mais je savais que nous pourrions voir le monde ensemble et que ce serait encore plus beau.» Puis, avec un sourire, elle s'est lancée sur un sentier enneigé pour faire une randonnée jusqu'à un village voisin, avec Isaac qui fredonnait joyeusement.

Cette expérience m'a libérée de mes propres idées préconçues sur ce qui est et n'est pas possible pour les mères qui voyagent avec des tout-petits ou de jeunes enfants. Ce soir-là, Sarah, Isaac et moi avons dîné tranquillement avec Mark, un backpacker norvégien de 42 ans qui logeait également à l'auberge. Bien que nous venions d'horizons très différents et de cultures qui ne se ressemblent pas, nous nous sommes entendus à merveille.

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Séjourner en auberge m'a appris que la diversité des voyages ne fait qu'enrichir nos expériences en tant que voyageurs.

En rencontrant des amis de voyage de nationalités et de cultures différentes, je me sens vraiment chanceuse d'avoir appris des choses sur le monde que même les meilleurs systèmes d'éducation n'auraient pu m'enseigner. Ces leçons sont une étude permanente que je ne suis pas prête à abandonner de sitôt, même si je suis maintenant beaucoup plus âgée que lorsque j'ai commencé les voyages en auberge il y a dix ans.

Bien que je ressente de temps en temps une certaine pression pour croire que je n'ai plus l'âge pour dormir en auberge, je n'ai en réalité jamais eu la moindre honte à montrer mes cheveux gris aux yeux de tous. Que je sois entourée d'adolescents dans les salles communes des auberges, que je boive des bières dans des bars d'auberges remplis de jeunes de 20 ans ou que je participe à des voyages en groupe avec d'autres backpackers beaucoup plus jeunes que moi, je refuse tout simplement de croire qu'en atteignant un certain âge, il est soudainement mal ou étrange pour moi de continuer à aimer séjourner dans des auberges.

L'une des choses les plus révélatrices que j'ai apprises en voyageant, c'est qu'une façon aussi binaire de naviguer dans le monde et de comprendre notre place dans celui-ci est incroyablement limitative. En fait, c'est exactement le contraire de ce que les voyages sont censés faire - élargir nos horizons.

En rencontrant des gens de tous âges dans les auberges, j'ai appris qu'on n'est jamais trop jeune ou trop vieux pour vivre pleinement sa vie, et que la perception que tu as a de toi-même à tout âge est bien plus importante que la perception que la société a de toi. Pour l'instant, je continuerai à séjourner dans des auberges tant que je voudrai, cheveux gris et tout le reste.

Cet article fait partie du
Numéro 5

Récits de voyage